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Pyrame & Thisbé

Au fil de ma lecture de cette pièce, je me suis bien avisé qu’il y en a quand même quelques nettes variations du texte en rapport des éditions différentes. Ainsi, je me suis résolu de me mettre à la relecture de deux éditions ce que m’aurait, après tout, permis de m’approcher le plus que possible de l’intégralité du texte d’origine.

L’édition que j’entreprends suit les deux éditions dont la première est l’édition intégrale des œuvres de Théophile de Viau, parue à Lyon, 1630 sous le titre : Les Œuvres  du Sieur Théophile, Divisées en trois Parties. L’autre, c’est l’édition de la pièce « Les Amours Tragiques de Pyrame et Thisbé » parue à Paris chez Jean Martin en 1626.


Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé
Mis en vers français
par Théophile de Viau

Les Acteurs

THISBE BERSIANE NARBAL LIDIAS LE ROI SYLLAR DYSARQUE DEUXIS LA MERE DE THISBE ET SA CONFIDENTE

Acte I

SCENE I

THISBE.BERSIANE

Thisbé

 

Du bruit et des fâcheux aujourd’hui separée

Ma seule fantaisie avec moi retirée,

Je puis ouvrir mon âme à la clarté des Cieux,

Avec la liberté de la voix et des yeux,

Il m’est ici permis de te nommer Pyrame,

Il m’est ici permis de t’appeler mon âme :

Mon âme qu’ai je dit ? c’est fort mal discourir,

Car l’âme nous fait vivre et me fais mourir :

Il m’est vrai que la mort que ton amour me livre,

Et aussi seulement ce que j’appelle vivre,

Nos esprits sans l’amour, assoupis et pesants,

Comme dans un sommeil passent nos jeunes ans,

Auparavant qu’aimer on ne sait point l’usage,

Sans cette passion les plus lourds animaux,

Connaîtraient  mieux que nous et les biens et les maux,

Notre destin serait comme celui des marbres

Et que l’ouvrier gravant l’image des humains,

Ne saurait faire agir ni les yeux ni les mains,

Un bel œil dont l’éclat ne luit qu’à l’aventure,

C’est comme le soleil qui cachait la nature

Auparavant qu’il fut entré dans ses maisons,

Et qu’il peut discerner la beauté des saisons :

Moi, je crois seulement depuis l’heure première

Que dès l’heure qu’il vint à respirer le jour,

Et combien que le Ciel fasse couler ma vie,

Dans cette passion avec un peu d’ennui,

Que mille empêchements combattent mes désirs,

Que les discours mutins d’une haine ancienne,

Divisent la maison de Pyrame et la mienne,

Qu’hommes, Ciel, temps et lieux, nuisent à mon dessein

Je ne saurais pourtant me l’arracher du sein,

Et quand je le pourrais, je serais bien marrie,

Que d’un si cher tourment mon âme fut guerie,

Une telle santé me donnerait la mort,

Le penser seulement m’en fâche et me fait tort.

 

Bersiane.

 

Comment, vous être ainsi de nous tous éloignée,

Osez-vous bien aller sans être accompagnée ?

Tout le monde au logis est en peine de vous,

Et surtout votre mère en es en grand courroux.

 

Thisbé

 

Pourquoi cela ? ma vie est-elle si suspecte ?

 

 

 

Bersiane.

 

Non, mais toujours les vieux veulent qu’on les respecte,

Vous devrez pour le moins un de nous avertir,

Faire quelque semblant que vous alliez sortir.

 

Thisbé

 

Sais-tu pas bien que j’aime à refuir, à me taire,

Et que mon naturel est un peu solitaire,

Que je cherche souvent à m’ôter hors du bruit ?

Alors pour dire vrai je haie bien qui me suit,

Quelquefois mon chagrin trouverait importune,

La conversation de la bonne fortune,

La visite d’un Dieu me désobligerait,

Un rayon du Soleil parfois me fâcherait.

 

Bersiane

 

La chute d’une feuille, un Zéphire, un atome ?

 

Thisbé

 

Je te laisse à juger que ferait un fantasme,

Et de quelle façon je me verrais punir,

Qu’un esprit des enfers me vint entretenir.

 

Bersiane

 

A ce compte je suis déjà parmi ce nombre.

 

Thisbé

 

Jamais rien de vivant ne sembla mieux un ombre.

 

Bersiane

 

D’où viennent ces dédains ?

 

Thisbé

 

Vieux spectres d’ossements,

Vraiment je cherche bien tes divertissments.

 

Bersiane.

 

Je connais bien que c’est de moi qu’elle murmure,

Je suis donc cet objet d’infernale figure.

 

Thisbé

 

Je ne dis pas cela, mais tu peut bien penser.

 

Bersiane

 

Que de mon entretien on se pouvait passer.

 

Thsibé

 

Justement,

 

Bersiane.

 

Je connais ou je suis peu sensée.

 

Thisbé.

 

Qu’autre chose que toi me tient dans la pensée.

 

Bersiane.

 

Ce n’est pas sans sujet Thisbé que nos soupçons

Vous ont fait tous les jours ouïr tant de leçons,

Votre mère à raison d’avoir l’œil et l’oreille,

Dessus vos actions.

 

Thisbé

 

N’importe qu’elle veille,

Je n’ai rien fait jamais à craindre des témoins

Mon innocente humeur se moque de vos soins,

J’en suis émue autant que du bruit d’une feuille

Car je vis sans reproche.

 

Bersiane.

 

He ! le bon Dieu veuille.

 

Thisbé.

 

Adieu, cherche quelqu’un à qui te faire ouïr.

 

Bersiane.

 

On a beau tel secret dans les os enfouir,

L’amour, l’ambition, l’orgueil et la colère

Sont toujours sur nos fronts d’une apparence claire

J’espère en peu de jours que nous viendrons à bout

De cette confidentem et que nous saurons tout.

 

 

Scène II.

 

Narbal, Lidias.

 

Malgré mois persister en ce funeste amour,

Après les droits du Ciel l’ingrat me doit le jour,

Toi qui si lâchement flattes sa fantaisie,

Tu veux que ma raison cède à ta frénésie,

Et me remémorant ce qu’autrefois je fis,

Tu me veux conseiller la perte de mon fils ;

Il est vrai qu’autrefois j’ai senti cette flamme,

Lors qu’un sang plus subtil faisait agir mon âme,

Esclave que je suis des naturelles lois,

Comme un autre en mon temps de ce feu je brûlais,

Mais toujours mes desseins étaient avec licence,

Et mes justes désirs pleins d’heur et d’innocence.

 

Lidias.

 

Vous en avez depuis perdu le souvenir,

Mais si les mêmes ans pouvaient vous revenir,

Et qu’en votre faveur la loi de la nature,

Vous effaçant l’horreur que fait la sépulture,

A vos membres cassez leur force rapporta,

Et remis vos esprits en leur premier état,

Je croie que vos rigueurs changeraient bien de termes

Et que vos sentiments ne seraient plus si fermes,

Ce pauvre fils à qui vous voulez tant de mal,

Vous verrait transformé de censeur en rival,

On saurait dompter la passion humaine,

Contre Amour la raison est importune et vaine,

Toujours l’objet aimable a droit de nous charmer,

Lors qu’on est en état de le pouvoir aimer,

L’âme se voit bientôt d’une beauté forcée,

Par le rapport des yeux avec la pensée.

 

Narbal.

 

Ton esprit tient encore un peu de la saison,

Qui ne voit point mourir les fruits de la raison,

Moi, qui suis bien guéri de cette humeur volage,

Ayant déjà passé tous les degrés de l’âge,

Je connais mieux que toi la vie et le devoir,

Et bientôt mieux que toi je lui ferai savoir,

Aimer sans mon congé et s’obstiner encore,

D’un amour qui le perd et qui me déshonore,

D’un ennemi mortel la fille rechercher,

Je t’aime mieux le cœur hors du sein arracher,

Tu démordras mutin, je te ferais connaître,

Le respect que tu dois à ceux qui t’ont fait naître,

Et que tu e dois point suivre ta passion,

N’y faire des desseins sans ma permission.

 

Lidias.

 

Quand on s’engage au fort d’une pareille affaire,

Une permission n’est jamais nécessaire,

On n’y saurait  pourvoir quand c’est un accident,

A cela le plus fin est le plus impudent,

On ne demande point congé d’une aventure,

S’il en faut demander c’est donc à la nature,

Qui conduit notre vie et s’adresser aux Dieux,

Qui tiennent en leurs mains nos esprits et nos yeux.

 

Narbal.

 

Ne sait-il pas qu’il est obligé de me plaire,

Que cet amour furtif irrite ma colère,

Qu’il va dans ce projet mes jours diminuant,

Et fait un parricide en le continuant,

Les Dieux trouvent-ils bon, puis qu’ils sont équitables

Qu’on fasse des forfaits ?

 

Lidias.

 

S’ils sont inévitables ?

Les Dieux ne veulent point en retirer nos pas,

Mêmes puis qu’en Amour le crime à des appas,

Que la rigueur des lois l’entretienne et l’augmente,

Les amants trouvent grâce auprès de Radamante

Mais une noire humeur qui ment des assassins,

Une nature lâche encline à des larcins,

C’est ce qui fait horreur au Ciel et à la terre,

Et sur quoi justement doit tomber le tonnerre :

Où la nécessitéd’un amoureux désir,

Qui de l’âme et du corps n’aspire qu’au plaisir,

Mérite qu’on l’assiste et vouloir sa ruine,

Tient un peu d’une humeur ennuyeuse et chagrine.

 

Narbal.

 

Tes discours ne sont point assez persuasifs,

Ce mal ne prend qu’aux cœurs mols, délicats, oisifs,

Où jamais le bon sens n’a choisi sa demeure,

Où jamais la vertu ne trouve une bonne heure,

Suffit, quand la raison le contraire voudrait

L’empire paternel conservera son droit,

Mon pouvoir absolu rompra cette entreprise,

Et mon autorité lui fera lâcher prise.

 

Lidias.

 

Vous voulez qu’Ixion lié dans les Enfers,

S’arrache de sa roue et qu’il brise ses fers,

Qu’un homme déjà mort sa guerison reçoive,

Que Sisiphe repose et que Tantale boive,

Tous nos efforts ne sont que d’un pouvoir humain,

Que tend à l’impossible, il se travaille en vain.

 

 

Scène III

 

Le Roi, Syllar.

 

C’est trop faire de vœux, c’est trop verser de larmes,

Il faut avoir recours à de meilleures armes,

Cette ingratte farouche avec ses mépris,

A donné trop longtemps la géhenne à mes esprits,

La qualité de Roi, l’éclat de ma fortune,

Au lieu de l’en tirer la choque et l’infortune,

Elle aime mieux, ignoble et honteuse qu’elle est

Un simple citoyen,

 

Syllar.

 

Son semblant lui plaît.

 

Le Roi.

 

Je le rendrai pourtant si le Soleil m’éclaire,

Seulement aujourd’hui, peu capable de plaire.

 

Syllar.

 

A quel si bon moyen pouvez vous recourir

Pour le rendre odieux.

 

Le Roi.

 

Je le ferai mourir,

Toute autre invention est douteuse et grossière

Lors qu’elle le verra sanglant sur la poussière,

Que les yeux en mourant, les regards à l’envers,

Hideux sans mouvements demeurerons ouverts,

Il  faut que l’amitié soit bien dans la pensée,

Si par un tel objet elle n’en est chassée,

Je sais bien que Thisbé sans des vives douleurs

Ne verra point sa mort, ni sans beaucoup de pleurs

Mais avec le temps jusqu’à la moindre trace,

La plus forte douleur se dissipe et s’efface,

Ayant vu que l’objet de son premier amour

N’aime plus, ne sent rien, n’a plus de part au jour,

Elle est encore vivante et encore sensible,

A mon affection sera plus accessible.

 

Syllar.

 

L’aimez-vous jusqu’au point de violer la loi ?

 

Le Roi.

 

Tu sais que la justice est au dessous du Roi,

La raison défaillant, la violence est bonne,

A qui sait bien user des droits d’une couronne.

 

Syllar.

 

Mais toujours vous savez que L’équité vaut mieux.

 

Le Roi

 

Les grands Rois doivent vivre à l’exemple des Dieux.

 

Syllar.

 

Aussi vous ont-ils faits leurs lieutenants en terre.

 

Le Roi.

 

Leur colère a son gré fait tomber le tonnerre,

Et quoi qu’ils soient portés ce semble à nous chérir,

Pour montrer leur puissance ils nous font tous mourir

Et moi, je tiens du Ciel ma meilleure partie,

Mon âme avec les Dieux a de la sympathie, j’aime que tout me craigne et crois que le trépas,

Toujours est juste a ceux qui ne me plaisent pas,

Pyrame est en ce rang, ca mort est légitime,

Car déplaire a son Roi, c’est avoir fait un crime,

Il n’est pas innocent. Ceux qui la loi du sort

Rend mal voulus du Prince ils sont dignes de mort,

Mon amour l’a conclu : Ce Tyran implacable

En donne avec moi l’arrêt irrévocable,

Il sera ma victime et je jure devant

qu’aucun ait jeté l’œil sur le Soleil levant,

D’eusse-je par ma main exécuter ma haine,

son trépas résolut me tirera de peine

Ici me fera voir cet acte officieux,

Celui de tous les miens qui m’aime a le mieux,

Ici dois-je tirer une preuve assurée,

De la fidélité qu’on ma cent fois iurée.

 

Syllar.

 

Le temps et la raison pourraient-ils point ôter

Ces violents désirs ?

 

Le Roi.

 

Rien que les augmenter,

Le temps et la raison feront du feu la glace,

Et m’ôteront plutôt le cœur hors de sa place.

 

Syllar.

 

Puis que c’est un dessein qu’on ne peut divertir

A quel prix que ce soit il en faut donc sortir,

Sire, me voici l’âme et la main toute preste.

A quoi que vos desseins aient destiné ma tête.

 

Le Roi.

 

Comment tu me parviens, ha ! véritablement

Je vois bien que tu veux m’obliger doublement,

Un plaisir est plus grand qui vient sans qu’on y pense,

Qui souffre qu’on demande a pris sa récompense,

Même quand le besoin de nos désirs pressez

A qui fait le sourd, se fait entendre assez.

 

Syllar.

 

Je m’en vais de ce pas vaquer à l’entreprise.

 

Le Roi.

 

Ô, qu’en ton amitié le Ciel me favorise.

 

Syllar.

 

Dans deux heures d’ici nous mettrons la main.

 

Le Roi.

 

Il est vrai qu’il vaut mieux avoir aujourd’hui que demain

Je ne te parle point encore du salaire.

 

Syllar.

 

Sire, tout mon espoir est l’honneur de vous plaire.

 

Le Roi.

 

Je sais que tout service est digne de loyer.

 

Syllar.

 

Il sait bien comme il faut les hommes employer,

Une telle action dessus le gain se fonde,

C’est le plus libéral de tous les Rois du monde,

Il en est mieux servi. L’argent a des ressorts

Qui sont aller part tout nos esprits et nos corps.

© André & Frank Hagemann - Villa-Anemone.fr 2012