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Requête (suite)

Requête

de Théophile

au Roi


Qu’on remontre aux Religieux

A qui mon nom semble blasphème,

Que leur zèle est injurieux

De vouloir m’ôter le Baptême,

Que le crimes qu’ils ont prêchés

Inconnus aux plus débauchés

Sont controuvés pour me détruire,

Et sèment un subtil appas.

Par où l’âme se peut instruire,

Au vice qu’elle e sait pas.

Que si ma plume avait commis

Tout le mal qu’il vous font entendre,

La fureur de mes ennemis

M’avait déjà réduit en cendre

Que leurs écrits et leurs abois,

Qui déjà depuis tant de mois,

Font la guerre à mon innocence

M’avaient fait faire mon procès

Si dans ma plus grand licence

Je n’avais évité l’excès.

Que c’est un procédé nouveau

Dont Ignace était incapable,

De souiller l’air, la terre et l’eau

Pour rendre un innocent coupable,

Qu’autrefois on a pardonné

Ce Carnaval désordonné,

De quelques-uns de nos Poètes,

Qui se trouvèrent convaincus

D’avoir sacrifié des bêtes

Devant l’idole de Bacchus.

Qu’à mon exemple nos Rimeurs,

Ne prendront point ce privilège

Et que mes écrits et mes mœurs,

Ont en horreur le sacrilège :

Que mon Confesseur soit témoin

Si je ne rends pas tout le soin,

Qu’un bon chrétien doit à l’Eglise,

Et qu’on ne voit en aucun lieu,

Qu’un vers de ma façon se lise,

Qui soit au déshonneur de Dieu.

Que l’honneur, la pitié, le droit

Sont violés en ma poursuite,

Et que certain Père voudrait,

N’avoir point empêché ma fuite,

Mais la honte d’avoir manqué

Ce qu’il a si fort attaqué,

Demande qu’on m’anéantisse,

De peur qu’on me rendant au Roi,

Les marques de son injustice,

Ne survivent avec moi.

Juste Roi, protecteur des lois,

Vous sur qui l’équité se fonde,

Qui seul emportés sir les Rois,

Ce titre le plus beau de monde,

Voyez avec combien de tort,

Votre justice sent l’effort,

Du tourment qui me désespère,

En France on n’a jamais souffert,

Cette procédure étrangère

Qui vous offense et qui me perd.

Si j’étais du plus vil métier,

Qui s’exerce parmi les rues,

Si j’étais fils de savetier,

Ou de vendeuse de morues,

On craindrait qu’un peuple irrité

Pour punir la témérité,

De celui qui me persécute,

Ne fît avec sédition,

Ce que la fureur exécute,

Et son aveugle émotion.

Après ce jugement mortel,

Où l’on a vu ma renommée

Et mon portrait sur leur Autel,

N’être plus qu’un peu de fumée :

Fallait-il chercher de nouveau,

Les matières de mon tombeau,

Fallait-il permettre à l’envie

D’employer ses injustes soins

Pour faire ici languir ma vie,

En l’attente des faux témoins ?

Mais quelques peuples si lointains,

Dont la nouvelle intelligence,

Puisse accompagner les desseins

De leur cruelle diligence

Que des lutins, des loups-garous

Obéissant à leur courroux,

Viennent ici pour me confondre

Dieu qui leur servira la voix,

Pour mon salut fera répondre,

La sainte autorité des Lois.

Qui peut avoir assez de front,

Quels fols ont assez de licence

Pour se taire avec affront

A l’abord de mon innocence,

Et quoique la canaille ait dit,

Pour l’argent ou pour le crédit

Dont on leur a jeté l’amorce,

Dans les mouvements de leurs yeux,

On verra qu’ils parlent par force

Devant des Juges et des Dieux.

O grand maître de l’Univers,

Puissant auteur de la nature,

Qui voyez dans ces cœurs pervers,

L’appareil de leur imposture :

Et vous sainte Mère de Dieu,

A qui les noirs creux de ce lieu

Son aussi clair que les étoiles,

Voyez l’horreur où l’on m’a mis,

Et me développés des toiles

Don m’ont enceint mes ennemis.

SIRE, jetez un peu vos yeux

Sur le précipice où je tombe,

Saint Image u Roi des Cieux,

Rompez les maux où je succombe :

Si vous m’arrachez des mains

De quelques morgueurs inhumains

A qui mes maux donnent à vivre,

L’Hiver me donnera secours,

En me tuant il me délivre,

De mille trépas tous les jours.

Qu’il plaise à votre Majesté,

De se remettre en la mémoire

Que parfois mes vers ont été,

Les messagers de votre gloire,

Comme pour accomplir mes vœux,

Encor’ ma liberté première

Que pour la mettre en ce devoir

Et ne demande la lumière

Que pour l’honneur de vous revoir.

Dans ces lieux vouez au malheur,

Le Soleil contre sa nature

A moi[…] de jour et de chaleurs

Que l’on n’en fait à sa peinture,

On n’y voit le Ciel que bien peu,

On n’y voit ni terre, ni feu,

On meurt de l’air qu’on respire,

Tous les objets y sont glacés ;

Si bien que c’est ici l’Empire ;

Où les vivants sont trépassés.

Comme Alcide força la mort,

Lorsqu’il lui fit lâcher Thésée

Vous ferez avec moins d’effort

Chose plus grande et plus aisée,

Signez mon élargissement,

Ainsi de trois doigts seulement

Vous abattrez vingt-deux portes,

Et romprez les barres de fer,

De trois grilles qui sont plus fortes

Que toutes celles de l’Enfer.

Cf. Les Œuvres de Sieur Théophile, Divisées en trois Parties, troisième Partie : Recueil de toutes les Pièces faites par Théophile pendant sa Prison jusqu’à sa Mort, Jean Michon, Lyon 1630, pp. 3 – 15.

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