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Les Frayeurs

La frayeur de la mort ébranle le plus ferme :

Il est bien malaisé,

Que dans le désespoir, et proche de son terme

L'esprit soit apaisé.

 

L'âme robuste, et la mieux préparée

Aux accidents du sort,

Voyant auprès de soi sa fin assurée,

Elle s'étonne fort.

 

Le criminel pressé de la mortelle crainte

D'une supplice douteux,

Encore avec espoir endure la contrainte

De ses liens honteux.

 

Mais quand l'arrêt sanglant a résolu sa peine

Et qu'il voit le bourreau,

Dont l'impiteuse main lui détache une chaîne

Et lui met un cordeau,

 

Il 'a goutte de sang qui ne soit lors glacée,

Son âme est dans les fers ;

L'image du gibet lui monte à la pensée

Et l'effroi des Enfers.

 

L'imagination de cet objet funeste

Lui trouble la raison,

Et sans qu'il ait du mal, il a pis que la peste,

Et pis que le poison.

 

Il jette malgré lui les sens dans sa détresse,

Et traîne en son malheur

Des gens indifférents, qu'il voit parmi la presse

Pâles de sa douleur.

 

Partout dedans la Grève il voit fendre la terre,

La Seine est l'Achéron,

Chaque rayon du jour est un trait de tonnerre,

Et chaque homme Charon.

 

La consolation que le prêcheur apporte

Ne lui fait point de bien :

Car le pauvre se croit une personne morte,

Et n'écoute plus rien.

 

Les sens sont retirés, il n'a plus son visage,

Et dans ce changement

Ce serait être fol de conserver l'usage

D'un peu de jugement.

 

La nature, de peine et d'horreur abattue,

Quitte ce malheureux,

Il meurt de milles morts, et le coup qui le tue

Est le moins rigoureux.

© André & Frank Hagemann - Villa-Anemone.fr 2012