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La Pénitence

La Pénitence

De Théophile

Aujourd’hui que les courtisans,

Les bourgeois, et les artisans,

Et les peuples de la campagne,

Pour noyer les soins du trépas

Passent les excès d’Allemagne

En leur voluptueux repas

Que le jeu, la dans et l’amour

Occupent la nuit et le jour

Des enfants de la douce vie,

Que le cœur le plus débauché

Contente la plus molle envie

Que lui fournisse le péché.

Que les plus modeste désirs

Ne respirent que les plaisirs,

Que les luths par toute la terre,

Ont fait taire les pistolets,

Et caché les Dieux de la guerre

Dans la machine des ballets.

Mon jeu, ma danse et mon festin

Se font avec saint Augustin,

Dont l’aimable et sainte lecture

Est ici mon contrepoison,

En la misérable aventure

Des longs ennuis de ma prison.

Celui qui d’un pieux devoir

Employa l’absolu ici mon étude,

L’envoya pour m’entretenir

Dans cette étroite solitude,

Dont il voulut me retenir.

Parmi le céleste entretien

D’un si beau livre et si chrétien,

Je me mêle à la voix des anges,

Et transporté de cet honneur,

Mon esprit donne louanges

A qui m’a causé ce bonheur.

Je vois dans ses divins écrits

Que l’orgueil des plus grands esprits

Ne sert au sien que de trophée,

Et que la sotte antiquité

Soupire et languit étouffée

Sous le joug de la vérité.

Tous ces démons du temps passé

Dont il vivement tracé

Les larcins et les adultères,

Sont moins que fantômes de nuit

Devant les glorieux mystères

Du grand soleil qui nous reluit.

Tous ces grands temples si vantés,

Dont tant de siècles enchantés

Ont suivi de renom ni de lieu,

Et désormais tous les miracles

Se font en la cité de Dieu.

Grand lumière de la foi,

Qui me donnes si bien de quoi

Me consoler dans ces ténèbres,

Mon désespoir le plus mordant,

Et mes soucis les plus funèbres

Se calment en te regardant.

Je ne te puis lire si peu,

Qu’aussitôt un céleste feu

Ne me perce au profond de l’âme,

Et que mes sens faits plus chrétiens

Ne gardent beaucoup de la flamme

Que me font éclater les tiens.

Je maudis mes jours débauchés

Et dans l’horreur de mes péchés,

Bénissant mille fois l’outrage

Qui m’en donne le repentir ;

Je trouve encore en mon courage

Quelque espoir de me garantir.

Cet espoir prend à son secours

Le souvenir de tant de jours

Dont la jeune et grande licence

Eût besoin de confessions

Qui cherchèrent de l’innocence

Pour tes premières actions.

Grand saint pardonne à ce captif,

Qui d’un emprunt lâche et furtif,

Porte ici ton divin exemple

Pressé d’un accident mortel

J’entre tout sanglant dans le temple,

Et me sers du droit de l’autel.

Alors que mes yeux indiscrets

Ont trop percé dans tes secrets,

Jésus m’a mis dans la pensée

Qu’il se fit ouvrir le côté,

Et que sa veine fut percée

Pour laver notre iniquité.

Esprit heureux puisque aujourd’hui,

Tu contemples avec lui

Les félicités éternelles

Et que tu me vois empêché

Des affections criminelles,

De l’objet mortel du péché.

Jette un peu l’œil sur ma prison

Et portant de ton oraison,

La faiblesse de ma prière

Gagne pour moi son amitié

Et me rends la digne matière,

Des mouvements de sa pitié.

Je confesse que justement

Un su rude et si long tourment

Voit tarder sa miséricorde,

Mais ni ma plume ni ma voix

N’ont jamais rien fait que n’accorde

La douceur des humaines lois.

Et puisque Dieu m’a tant aimé

Que d’avoir ici renfermé

Les pauvres Muses étonnées

Sous les ailes du parlement,

Les méchants perdront leurs journées

A me creuser le monument.

Augustin ouvre ici tes yeux,

Je proteste devant les Cieux,

La main dans les feuillets du livre

Où tu m’as attaché les sens.

Qu’il faut pour m’empêcher de vivre

Faire mourir les innocents.

Cf. Les Œuvres de Sieur Théophile, Divisées en trois Parties, troisième Partie : Recueil de toutes les Pièces faites par Théophile pendant sa Prison jusqu’à sa Mort, Jean Michon, Lyon 1630, pp. 24 – 28.

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