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Plainte à son ami

Plainte
De
Théophile
A un son ami Tyrcis
Pendant son absence.

Tircis tu connais bien dans le mal qui me presse

Qu’un peu d’ingratitude est jointe à ta paresse

Tout contre mon brasier, je te vois sommeiller,

Et sa flamme et son bruit, te devrait éveiller.

Tu sais bien qu’il est vrai que mon procès s’achève

Qu’on va bientôt brûler mon portrait à la Grève

Que déjà mes amis ont travaillé sans fruit

A prévenir l’horreur de cette infâme bruit.

Que le Roi me délaisse et qu’en cette aventure

Une juste douleur doit forcer ma nature :

Que le plus résolu ne peut sans soupirer

Entendre les ennuis où tu me vois durer.

Sache aussi que mon âme est presque toute usée,

Que Cloton tient mes jours, au bout de sa fusée !

Qu’il faut que mon espoir se rende à mes malheurs,

Et que mon jugement, me conseille les pleurs.

Si mon mauvais sort, a fini la durée

Da la sainte amitié que tu m’avais jurée

Comment suivant le cours du naturel

Tu me vois trébucher sans me donner la main.

Pour le moins fais semblant d’avoir un peu de peine

Voyant le précipice où le destin me traîne :

Afin qu’un bruit fâcheux ne vienne à me blâmer

D’avoir si mal connu qui je devais aimer.

Damon qui nuit et jour pour éviter ce blâme

S’obstine a travailler et du corps et de l’âme,

M’assure pour le moins en son petit secours

Que sa fidélité me durera toujours.

Il ne tient pas à lui que l’injuste licence

De mes persécuteurs ne cède à l’innocence,

Il fait tout ce qu’il peut pour écarter moi

Les périls qui me font examiner ta foi.

Sans eux je n’airais vu jamais ton âme ouverte,

Toujours ta lâcheté m’avait été couverte,

L’excès de mon malheur n’est cruel qu’en ce point

Qui me dit malgré moi que tu ne m’aime point.

Si le moindre rayon de la vertu t’éclaire

Souviens-toi qu’en ta vue dans les soin de me plaire

Et qu’avant la disgrâce où tu me vous soumis,

Tu serais vanité d’être de mes amis.

Regarde que ton cœur se lâche et m’abandonne

Dès le premier essai que mon malheur te donne,

Et que tu sais que mon sort n’est aujourd’hui battu,

Que par des trahisons qu’on fait à ma vertu.

Toi même qui me vois au fond de ma pensée ;

Qui sais comme ma vie c’est ci-devant passée,

Et dans le secret d’un véritable amour

Mon esprit innocent c’est peint cent foi le jour.

Tu sais que d’aucun tort ton cœur ne me soupçonne,

Que je n’ai ni trompé ni fait tort à personne,

Que depuis m’être instruit en la Romaine Loi,

Mon âme dignement a senti de la Foi.

Et que l’unique espoir de mon salut se fonde

En la Croix de celui qui racheta le monde.

Mon cœur se porte là d’un mouvement tout droit,

Et croit assurément ce que l’Eglise croit.

Bien que des imposteurs dont l’aveugle croyance

S’oppose absolument aux libertés de France,

Fassent courir des bruits que mon sens libertin,

Confond l’auteur du monde avec le destin.

Et leur impertinence a fait croire à des femmes

Que j’étais un prêcheur à suborner les Ames :

On dit pis de ma vie, on parle plus de moi,

Que si j’avais traité d’exterminer la Loi.

On fait voir en mon nom des odieuses rythmes,

Pour perdre un innocent et professer des crime,

Ils ont fait sous me pas des lacs de toutes parts,

Ont eu des espions à guetter mes regards.

Ont détourné de moi ceux dont les bon génies

Tenaient avec mes vœux leurs volontés unies,

Ils ont avec Satan contre moi pactisé,

A force de médire, ils m’ont débaptisés.

Sans fondement qu’une envieuse rage,

Contre des passe-temps où m’a porté mon âge,

Un plaisir naturel où mes esprits enclins,

Ne laissent point de place à des désirs malins.

Un divertissement qu’on doit permettre à l’homme,

Et que sa sainteté ne punit pas à Rome,

Car la nécessité que la police suit,

Permettant ce péché ne fait pas peu de fruit.

Ce n’est pas une tache à son divin Empire :

Car toujours de deux maux faut éviter le pire.

Encore, ai-je un défaut contre qui leur aboi

Eclate hautement : c’est Tircis que je vois.

Ils pensent que le vin soit le feu qui m’inspire

Cette facilité dont tu me vois écrire :

Et qu’on ne me saurait ouïr parler Latin,

Si ce n’est que je sois à la Pomme de Pin.

Ils croient que le vin m’ayant gâté l’haleine,

M’a plus fait de bourgeons qu’on n’en peint à Silence.

Je croie que ma débauche en ses plus grands efforts

Ne m’empêche jamais ni l’esprit ni le corps.

Mes plus sombres repas méritent des censures,

Partout ma liberté ne sent que des morsures.

Il est vrai que mon sort en ceci est mauvais,

C’est que beaucoup de gens savent ce que je fais.

Quelque lieux si cachés où mon péché se niche,

Aussitôt mon péché au carrefour s’affiche :

Partout où l’on me voit je suis toujours à nu,

Tout le crime que j’ai, c’est d’être trop connu.

Que malgré ma bonté cette gloire légère

D’avoir un peu de bruit m’a causé de misère !

Que mon sort était doux, s’il eût coulé mes ans,

Où les bords de Garonne ont les flots si plaisants !

Tenant mes jours cachés dans ce lieu solitaire,

Nul que moi ne m’eût fait ni parler ni me taire.

A ma commodité j’aurais eu le sommeil,

A mon gré j’aurais pris et l’ombre et le soleil.

Dans ces valons obscurs où la mère Nature

A pourvu nos troupeaux d’éternelle pâture,

J’aurais eu le plaisir de boire à petits traits,

D’un vin clair, pétillant et délicat et frais.

Qu’un terroir assez maigre et tout coupé de roches

Produit heureusement sur les montagnes proches,

Là mes frères et moi pouvaient joyeusement,

Sans Seigneur ni vassal vivre assez doucement.

Là tous ces médisants à qui je suis en proie,

N’eussent point envié ni censuré ma joie,

J’aurais suivi partout l’objet de mes désirs,

J’aurais peu consacrer ma plume à mes plaisirs.

Là d’une passion ni ferme ni légère,

Aurais donné mon feu aux yeux d’une Bergère,

Dont le cœur innocent eût contenté mes vœux

D’un bracelet de chanvre avec de cheveux.

J’aurais dans ce plaisir, si bien flatté ma vie

Que l’orgueil de Calliste en eût crevé d’envie,

J’aurais peint la douceur de nos embrasements,

Partout les lieux témoins de nos embrassements.

Et comme ce climat est le plus beau du monde,

Ma veine en eût été mille fois fourni de vers

Qu’aujourd’hui ne ferait le bruit de l’Univers.

Et s’il faut malgré moi que mon esprit se pique

De l’orgueilleux dessein de son poème héroïque

Il faut bien que je cherche un plus libre séjour

Que celui de Paris, ne celui de la Cour.

Si ma condition peut devenir meilleure

Que le Roi me permette une retraite sure,

Que je puisse trouver en France un petit coin,

Où mes persécuteurs me trouvent assez loin.

Dans le doux souvenir d’être sorti de peine

De quelques gaieté, nourrir ai-je ma veine ?

Lors tu seras honteux q’en mon adversité

Je t’aie tant de fois en vain sollicité.

D’avoir abandonné le train d’une fortune

Qu’il te fallait avoir avec moi commune,

Recherche en tes désirs, ores si refroidis,

Si tu m’es aujourd’hui ce que fus jadis.

Je t’eusse fait jadis passer les Pyrénées,

L’eusse attaché tes jours avec mes années,

Et conduit tes desseins au cours de mon destin

Des bords de l’Occident jusqu’au flot du matin.

Et je n’ai rien commis, même dans mon courage

Qui te puisse obliger à me tourner visage

Depuis je n’ai rien fait et j’en jure les Dieux

Que d’aimer, ô Tircis, tous les jours un peu mieux.

Hélas ! si mon malheur avait un peu de crime,

Ma raison trouverait ta froideur légitime

Je me conseillerais de ne trouver de quoi

Je me puisse en mon mal me venger que de moi.

Un reste d’amitié fait qu’aujourd’hui j’enrage,

De sentir que celui que je chéris m’outrage :

Tu vois bien que le sort, sans yeux ne jugement,

Tourne tes volontés avec son changement.

Depuis mon accident tu m’as trouvé funeste :

Tu crois que mon abord te dois donner la peste,

Tu m’accuse partout où tu me vois blâmer,

Et me haie autant que tu me dois aimer.

Au moins assure-toi quoi que le temps y fasse

Qu’un si perfide orgueil n’aura jamais de grâce ;

Je vois bien que mes maux achèveront leurs cours,

Qu’un Soleil plus heureux achèvera mes jours.

Que ma bonne fortune écrasera l’envie,

Malgré les cruautés qui font gémir ma vie,

Au bout du désespoir paraîtra mon bonheur,

Toute cette infamie accroîtra mon honneur.

Ce n’est plus aux enfants d’une commune race,

Quelque si grand pouvoir dont le corps me menace,

Quelque trépas honteux dont le cruel dessein

S’agite contre moi dans leur perfide sein.

Et comme malgré moi, tu t’es rendu perfide,

Comme malgré l’honneur tu t’es rendu timide

Parmi tous mes travaux, sache que malgré toi

Je regarderai toujours mon courage et ma foi.

Et l’obstination de la malice noire,

Avec patiente augmentera ma gloire.

cf. Recueil de Toutes les Pièces Faites par Théophile pendant sa Prison jusqu'à sa Mort dans: Les Oeuvres du Sieur Théophile, divisées en trois parties, Tome III, Jean Michon, Lyon 1630 p. 17 - 23.

 

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