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Pyrame & Thisbé
Acte 5

Acte V.

Scène I

Pyrame, seul.

 

Enfin je suis sorti, leur prudence importune,

N’a plus à gouverner ni moi ni ma fortune.

Mon âme ne suit plus que le flambeau d’Amour,

Dans mon aveuglement je trouve assez de jour,

Belle nuit qui me tend ombrageuses toiles.

Ha ! vraiment le Soleil vaut mieux que tes étoiles.

Douce et paisible nuit, tu me vaut désormais,

Mieux que le plus beau jour ne me valût jamais.

Je vois que tout mes sens se vont combler de joie,

Sans qu’ici nul des Dieux ni des mortels me voie,

Mais me voici déjà proche de ce tombeau.

J’aperçois le mûrier, j’entend le bruit de l’eau,

Voici le lieu qu’Amour destinait à Diane,

Ici ne vient jamais rien que moi de profane.

Solitude, silence, obscurité, sommeil

N’avez-vous point ici vu luire mon Soleil ?

Ombres, où cachez vous les yeux de ma maîtresse ?

L’impatient désir de le savoir me presse,

Tant de difficulté m’ont tenu prisonnier

Que je mourais de peur d’être ici le dernier.

Mais, à ce que je voie, je m’y rends à bonne heure,

Puisqu’ encore en son lit mon Aurore demeure.

Attendant qu’elle arrive ici bien à propos,

Le reste de la nuit m’offre son doux repos.

Mais, pourrais-je dormir en mon inquiétude,

Quelque sommeil qui règne en cette solitude ?

Depuis que je la sers, Amour m’a bien instruit,

A passer sans dormir les heures de la nuit.

Le murmure de l’eau, les fleurs de la prairie,

Cependant flatteront un peu ma rêverie.

O fleurs ! si vos esprits jamais se transformants,

Dépouillèrent les corps des malheureux amants,

S’il en est parmi vous qu’ils se souviennent encore,

D’avoir souffert ailleurs qu’en l’empire de Flores,

Doux objets de pitié ne soyez point jaloux,

Si la faveur d’Amour m’a traité mieux que vous,

Et si du temps passé souvenir vous touche,

Prêtez-nous sans regret votre amoureuse couche.

Mais déjà la rosée vos tapis mouillez,

Que dis-je ? c’est du sang qui vous les a souillés.

D’où peut venir ce sang ? la troupe sanguinaire,

Des ours et des lions vient ici d’ordinaire.

Une frayeur me va dans l’âme repassant.

Je songe aux cris affreux d’un hibou menaçant

Qui m’a toujours suivi. Ces ombrages nocturnes,

Augmentent ma terreur et ces lieux taciturnes.

Dieux ! qu’est-ce que je vois ? j’en fuis trop éclairci.

Sans doute un grand lion a passé par ici,

J’en reconnais la race et vois sur la poussière,

Tout les sang que versait sa gueule carnassière.

O Ciel ! en quelle horreur enfin suis je tombé ?

Détestable, j’arrive aux traces de Thisbé !

Ces traces que je vois son pied les a formées,

Et celles du lion pêle-mêle imprimées,

Parmi cela du sang abondamment épars.

Ha ! je ne vois qu’horreur, que mort de toutes parts !

Il n’en faut plus douter, mon œil me dit ma perte.

Justes Dieux se peut-il que vous l’ayez soufferte ?

Mais vous n’en saviez rien, vous êtes de faux Dieux,

C’est moi qui l’ai conduit en ces coupables lieux.

Moi traître qui savait qu’auprès de cette source,

Les ours et les lions font leur sanglante course

Que la commodité de ce frais abreuvoir,

Et de ce lieu désert toujours les y fait voir.

Infâme criminel et déloyal Pyrame

Qu’as-tu fait de Thisbé ? qu’as-tu fait de ton âme ?

Comment, me suis-je ainsi de moi-même privé ?

Elle m’a prévenu, le jour est arrivé.

Vois-je pas que l’aurore sa pointe première,

Epanche au Ciel ouvert sa confuse lumière ?

Soleil voudrais-tu luire après cet accident ?

Cherche pour te cacher un plus noir accident.

Toutefois montre toi, tu le pourras sans honte,

Il n’est plus soleil çà bas qui te surmonte.

Thisbé n’ast plus au monde, ô bel arbre, ô rocher !

O fleurs ! en quel endroit me la faut-il chercher ?

 Beau cristal innocent dont le miroir exprime,

Sur mon front palissant l’image de mon crime.

Toi qui dessus ces bords la voyais déchirer,

N’en as-tu quelque membre au moins su retirer ?

Traître ! tu n’as servi qu’à rafraîchir la gueule

Du lion, lui laissant ma Thisbé toute seule !

Mais pourquoi les cailloux veux-je ici quereller ?

C’est à mon imprudence à qui je dois parler,

C’est à mes cruautés à qui je dois la peine

De la mort le moins juste et la plus inhumaine.

C’est moi de qui les bras la devaient secourir,

Et qui ne l’ont pas fait, c’est moi qui dois mourir.

Sortez à ma faveur de vos demeures creuses,

Pour déchirer le corps, venez troupes affreuses !

Mon juste désespoir vous presse, il cous attend.

Sans défense un butin, ce pauvre corps vous tend.

Cruels ! ne cherchez point que dans les bergeries

Quelque innocent agneau s’immole à vos furies,

Détournez désormais le cours à vos larcins,

Mangez les criminels, tuez les assassins !

En toi lion, mon âme a fait ses funérailles

Qui digérez déjà mon cœur dans ses entrailles.

Reviens, et me fais voir au moins mon ennemi,

Encore tu ne m’as dévoré qu’à demi,

Achève ton repas, tu seras funeste,

Si tu m’est plus cruel, achève donc le reste,

Ote-moi le moyen de te jamais punir !

Mais ma douleur te parle en vain de revenir.

Depuis que ce beau sang passe en ta nourriture,

Tes sens ont dépouillé leur humaine nature.

Je crois que ton humeur change de qualité,

Et qu’elle a plus d’amour que de brutalité.

Depuis que sa belle âme est ici répandue,

L’horreur de ses forêts à jamais perdue.

Les tigres, les lions, les panthères, les ours

Ne produiront ici que de petits amours,

Et je crois que Venus verra bientôt écloses

De ce sang amoureux mille moissons de roses.

Mon sang dessus le sien par ici coulera,

Mon âme avec la sienne ici se mêlera.

Qu’il me tarde déjà que mon ombre n’arrive,

Rejoindre son esprit sur la mortelle rive !

Au moins si je trouvais d’un chef d’œuvre si beau,

Quelque saints relique à mettre en un tombeau,

Je ferais dans mon sein une large ouverture,

Et sa chair dans la mienne aurait sa sépulture.

Toi, son vivant cercueil, reviens me dévorer,

Cruel lion, reviens ! je te veux adorer.

S’il faut que ma Déesse en ton sang se confonde,

Je te tiens pour l’autel le plus sacré du monde.

O Dieux ! si je ne vois rien d’elle à mon trépas,

Au moins je baiserai la terre de ses pas.

Et ma lèvre en suivant cette sanglante route,

Cent fois rebaisera son beau sang goutte à goutte.

Ah ! beau sang précieux qui tout froid et tout mort,

Faites dedans mon âme encore un tel effort.

Vous avez donc quitté vos délicates veines,

Pour achever enfin vos tourments et mes peines.

Puisque le sort me dit que vous l’avez voulu,

Il ne m’y verra pas moins que vous résolu.

Mais que trouverai-je ici ? cette sanglante toile,

A la pauvre défunte avait servi de voile.

O trop cruels témoins de mon dernier malheur !

Témoins de mon forfait, sois-le de ma douleur.

Mais quoi, dedans l’objet d’un sort si déplorable,

Sanglant et déchire, tu m’es encor’ aimable.

Le faut-il adorer, il le faut je le veux,

Il faut touché jadis l’or de ses blonds cheveux.

Ce voile à nos amours prêtant son chaste usage,

Défendrait au soleil baiser son visage.

Il fut en ma faveur soigneux de son beau teint.

Sois-tu dorénavant révéré comme saint,

Et qu’en faveur du sang qui peint notre infortune,

La nuit te daigne mettre avec sa robe brune.

Mais je crois que mon cœur se flatte en sa langueur.

Il est temps que ma vie achève sa rigueur.

Au dessein de mourir dois-je chercher qui m’aide.

Rien que ma main ne s’offre à ce dernier remède !

Terre ! si tu voulais t’ouvrir dessous mes pas,

Tu me ferais plaisir, mais tu ne le fais pas.

Il semble que ton flanc davantage se serre.

Dieux ! si vous me vouliez envoyer le tonnerre,

Je vous serai tenu. mais ô propos honteux !

Mon trépas à m’ouïr est encore douteux,

Mon désespoir en moi se délibère,

Mais, l’étourdissement, non la peur le diffère.

Voici de quoi venger les injures du sort,

C’et ici mon tonnerre et mon gouffre et ma mort.

En dépit des parents, du Ciel, de la nature,

Mon supplice sera la fin de ma torture.

Les hommes courageux meurent quand il plaît !

Aime ce cœur Thisbé tout massacré qu’il est,

Encore un coup Thisbé par la dernière plaie,

Regarde là-dedans si ma douleur est vraie.

 

Scène II

Thisbé, seule.

 

A peine ai-je repris mon esprit et ma voix.

Cette peur m’a fait perdre un voile que j’avais,

Et m’a fait demeurer assez longtemps cachée,

Possible mon amant m’aura depuis cherchée.

Il doit être arrivé, s’il n’a perdu le soin,

De me venir trouver, car le jour n’est pas loin.

Je n’entends plus que l’eau que verse la fontaine,

Le silence profond me rend assez certaine

Que je puis approcher la tombe où cependant

Mon Pyrame languit sans doute en m’attendant.

La bête qui cherchait l’eau de cette vallée,

Ayant éteint la soif, ores s’en est allée.

Autrement, j’entendais qu’elle ferait du bruit,

Et ces yeux brilleraient au travers de la nuit.

O nuit ! je me remets enfin sous ton ombrage,

Pour avoir tant d’amour, j’ai bien peu de courage.

Mais où mon œil s’abuse en un objet trompeur,

Voici de quoi rentrer en ma première peur.

Une subite horreur me prend à l’impourvue,

Et si l’obscurité peut assurer ma vie,

Un augure incertain mes soupçons ne dément,

Certains pas dans les miens mêlés confusément,

Cette place partout sanglante et si foulée,

Montre au’ici la bête a sa fureur soûlée.

Dieux ! je vois par la terre un corps qui semble mort,

Mais pourquoi m’effrayer, c’est Pyrame qui dort,

Pour divertir l’ennui de son attente oisive.

Il repose au doux bruit de cette source vive.

Ce sera maintenant à lui de m’accuser.

Mais c lieu dur et froid mal propre à reposer

Que déjà la rosée a rendu tout humide,

M’oblige à l’éveiller. Dieux ! que je suis timide !

J’ai son contentement et son repos si cher

Que ma voix seulement a peur de le fâcher.

Il dort si doucement qu’on ne saurait à peine,

Discerner parmi l’air le bruit de son haleine !

Mais d’où vient qu’immobile et froid dessous ma main,

Il semble mort Pyrame, ô Dieux ! j’appelle en vain.

Il ne respire plus, ce beau corps et de glace !

Hélas ! je vois la mort peinte dessus sa face ! 

D’une éternelle nuit son bel œil est couvert,

Je vois d’un large coup son estomac ouvert.

Hé ! ne meurs pas sitôt, ouvre un peu la paupière,

Respire encore un coup, je mourais la première,

ne t’en va point sans moi, ne me fait point ce tort !

Tu ne me réponds rien. Mon cœur tu n’es pas mort,

Les Dieux ne meurent point, la nature est trop sage,

Pour laisser ruiner son plus aimables ouvrages.

Mais, ô faible discours, ô faux soulagement !

La perte que je fais m’ôte le jugement.

Pyrame ne vit plus, ha ! ce soupire l’emporte.

Comment il ne vit plus et je ne suis pas morte ?

Pyrame, s’il reste encore un peu de jour,

Si ton esprit me garde encore un peu d’amour,

Et si le vieux Charon touché de ma misère,

Retarde tant soit peu sa barque à ma prière,

Attends-moi, je te prie, et qu’un même trépas

Achève nos destins, je m’en vais de ce pas.

Mais tu ne m’attends point et si peu que je vive,

En ce dernier devoir mon sort veut que je suive.

Coupable que je suis de cette injuste mort,

Malheureux criminel de la fureur du sort.

Quoi ? je respire encore et regardant Pyrame,

Trépassés devant moi, je n’ai point perdu l’âme.

Je vois que ce rocher s’est éclaté du deuil,

Pour répandre des pleurs, pour m’ouvrir un cercueil.

Ce ruisseau fuit d’horreur qu’il a de mon injure,

Il en est sans repos, ses rives sans verdure.

Même au lieu de donner de la rosée aux fleurs,

L’Aurore à ce matin n’a versé que des pleurs,

Et cet arbre touché d’un désespoir visible,

A bien trouvé du sang dans son tronc insensible,

Son fruit en a changé, la lune en a blêmi,

Et la terre a sué du sang qu’il a vomi.

Bel arbre puisqu’au monde après mois tu  demeures,

Pour mieux faire paraître au ciel tes rouges mûres,

Et lui montrer le tort qu’il a fait à mes vœux,

Fais comme moi de grâce, arrache tes cheveux,

Ouvre-toi l’estomac et fais couler à force,

Cette sanglante humeur par toute ton écorce.

Mais, que me sert ton deuil ? rameaux, prés verdissants,

Qu’à soulager mon mal vous êtes impuissants !

Quand bien vous en mourriez, on voit la destinée,

Ramener votre vie en ramenant l’année.

Une fois tous les ans nous vous voyons mourir,

Une fois tous les ans nous vous voyons fleurir.

Mais, mon Pyrame est mort, sans esprit qu’il retourne,

De ses pestes manoirs où son esprit séjourne.

Depuis que le Soleil nous voit naître et finir,

Le premier des défunts est encore à venir,

Et quand les Dieux demain ,e le feraient revivre,

Je me suis résolue aujourd’hui de le suivre.

J’ai trop d’impatience et puisque le destin,

De nos corps amoureux fait son cruel butin,

Avant que le plaisir que méritaient nos flammes,

Dans leur embrassements ait pu mêler nos âmes,

Nous les joindrons là-bas et par nos saints accords,

Ne ferons qu’un esprit de l’ombre de deux corps.

Et puisqu’à mon sujet sa belle âme sommeille,

Mon esprit innocent lui rendra la pareille.

Toutefois je ne puis sans mourir doublement.

Pyrame s’est tué d’un soupçon seulement,

Son amitié fidèle un peu trop violente,

D’autant qu’à ce devoir, il me voyait trop lente,

Pour avoir soupçonné que je ne l’aimais pas,

Il ne s’est peut guérir de moins que du trépas.

Que donc ton bras sur moi davantage demeure !

O mort ! et s’il se peut que plus que lui je meure

Que je sente à la fois, poisons, flammes et fers.

Sus ! qui me vient ouvrir les portes des enfers !

Ha ! voici le poignard qui du sang de son maître,

S’est souillé lâchement, il en rougit le traître.

Exécrable bourreau, si tu te veux laver

Du crime commencé, tu n’as qu’achever !

Enfonce la dedans, rend toi plus rude et pousse,

Des feux avec ta lames, hélas ! elle est trop douce.

Je ne pouvais mourir d’un coup plus gracieux,

N’y pour un autre objet haïr celui des Cieux.

 

FIN

© André & Frank Hagemann - Villa-Anemone.fr 2012