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Pyrame & Thisbé
Acte 4

Acte III

Scène I

 

Pyrame, Thisbé.

 

Tu vois en quel danger notre fortune est mise,

Que même la clarté ne nous est pas permise.

Enfin ne veux-tu point forcer cette prison,

Ici l’impatience est jointe à la raison.

Le tyran qui déjà fait éclater sa rage,

Afin de l’assouvir mettra tout en usage,

Et possible devant que le flambeau du jour,

Nous fasse voir demain ses coursiers de retour.

Nous saurions ce que peut une fureur unie

Avec l’autorité d’une force impunie.

 

Thisbé.

 

Le conseil en est pris sans attendre à demain,

Il faut résolument s’affranchir de sa main.

Je serai bienheureuse ayant de la fortune,

Et disgrâce et faveur avec toi commune,

Lors que je n’aurai point d’espions à flatter,

Que je n’aurai parents ni mère à redouter,

Et qu’Amour ennuyé de montrer barbare,

Ne nous donnera plus de mur qui nous sépare,

Que sans empêchements nos yeux pourront passer

Partout où sont venus la voix et le penser,

Lors d’un parfait plaisir entre les bras comblée,

Mon âme du tyran ne sera pas troublée,

Lors je n’aurai personne à respecter que toi.

 

Pyrame.

 

Lors tu n’auras personne à commander que moi,

Dessus mes volontés la tienne souveraine,

Te donnera toujours la qualité de Reine.

Thisbé, je jure ici la grâce de tes yeux,

Serment qui m’est plus cher que jurer les Dieux,

Qui ton affection aujourd’hui me transporte,

Je ne la croyais pas être du tout si forte,

Je doutais que l’on pût aimer si constamment

Et que tant d’amitié fût pour moi seulement,

Que des objets plus beaux.

 

Thisbé.

 

N’achève point Pyrame

Un si mauvais soupçon, tu blesserais mon âme,

Autre objet que le tien ? c’est me désobliger

Mon cœur, et quel plaisir prends de m’affliger.

Pyrame.

 

Ne crois point que cela trouble ma fantaisie,

Mais laisse un peu d’amour à tant de jalousie,

Non plus pour les mortels : car j’ose m’assurer

Que n’aime que moi.

 

Thisbé.

 

Tu le peux bien jurer.

 

Pyrame.

 

Mais, je me sens jaloux de tout ce qui te touche,

De l’air qui si souvent entre et sort de ta bouche.

Je crois qu’à ton sujet le Soleil fait le jour

Avec des flambeaux, et d’envie, et d’amour.

Les fleurs que sous tes pas tous les chemins produisent,

Dans l’honneur qu’elles ont de te plaire me nuisent.

Si je pouvais complaire à mon jaloux dessein,

J’empêcherais tes yeux de regarder ton sein.

Ton ombre suit ton corps de trop près ce me semble,

Car nous deux seulement devons aller ensemble.

Bref, un si rare objet m’est si doux et si cher,

Que ta main seulement me nuit de te toucher.

 

Thisbé.

 

Hors de l’empêchement qui nous sépare ici,

Tu sauras que tes vœux sont mes désirs aussi,

Que ton mal est celui dont te me ses pressée ;

Mais, la course du jour s’en va déjà passée,

La lune se confond avec sa clarté,

Il est temps de pourvoir à notre liberté.

Il faut que notre fuite à la nuit se hasarde,

Car avec trop de soin le jour on me garde.

 

Pyrame.

 

C’est très bien avisé : quand d’un sommeil profond

La première douceur dans nos veines se fond,

Qu’en ce pesant fardeau tout taciturne et sombre,

On n’oit que le silence, on ne voit rien que l’ombre ;

Il se faut dérober chacun des sa maison,

Ou plutôt se sauver chacun de la prison.

 

Thisbé.

 

Mais, au sortir d’ici pour nous voir en peu d’heure,

Quelle assignation trouverons nous plus sûre ?

 

Pyrame.

 

En attendant le jour, un lieu propre et bien près,

Il semble que l’Amour me le découvre exprès,

Le tombeau de Ninus.

 

Thisbé.

 

Il est vraiment bien proche,

 

Pyrame.

 

Là coule un clair ruisseau tout au pied d’une roche,

Qui ses vives eaux entretenant les fleurs,

Maintient à la prairie et l’âme et les couleurs ;

Un arbre tout auprès fertile en meures blanches,

Nous offre le couvert de ses épaisses branches ;

Saurions-nous rencontrer un lieu plus à souhait ?

 

Thisbé.

 

Il est le mieux du monde, allons, cela vaut fait.

 

Scène II.

La Mère, Sa Confidente.

 

Encore de frayeur tous mes cheveux se dressent,

Ses farouches regards encore à moi s’adressent.

Ha ! sommeil malheureux en ce songe trompeur,

Que tu m’as fait, ô Dieux, que tu m’as fait de peur.

De cette vision, l’image triste et noire

Avec trop d’horreur s’attache à ma mémoire ;

J’ai rêvé tout le jour dans l’appréhension,

De ma mauvaise nuit.

 

La Confidente.

 

Ce n’est qu’illusion.

 

La Mère

 

Combien en voyons nous à qui la voix des songes,

A dit des vérités !

 

La Confidente.

 

Comme aussi des mensonges.

 

La Mère.

 

Cette frayeur me tient pourtant dans les esprits,

Trop avant pour avoir son présage à mépris.

Jamais une si triste et si pâle figure,

Ne se présente à nous sans un mauvais augure.

Une pareille nuit ne me vient pas souvent.

 

La Confidente.

 

A qui suit la raison le songe n’est que vent,

Il est bon ou mauvais, feint vrai ou véritable,

Selon l’erreur douteux de notre esprit muable.

 

La Mère.

 

Si tu savais comment ce songe est apparu,

Comment cent fois la mort pas mes os a couru,

De quelque fermeté que ta raison se vante,

Possible prendrais-tu ta part de l’épouvante.

 

La Confidente.

 

S’il ne vous est fâcheux de me le faire ouïr.

 

La Mère.

 

Si cet ombre en parlant pouvait s’évanouir,

Et que sa forme errante encore dans ma couche,

Peut sortir de mon âme en sortant de ma bouche,

Tu me verrais très prompte à te faire savoir,

Ce que mes yeux fermés m’ont clairement fait voir.

 

La Confidente.

 

Déchargeant sa douleur dedans l’âme fidèle,

De quelqu’un que l’on aime, on la sent moins cruelle.

Le plus faible secours que l’on puisse offrir,

Nous fait le mal au moins plus doucement souffrir.

S’il en faut soupirer qu’avec vous je soupire.

 

La Mère.

 

Ta curiosité me presse à le dire,

L’horreur où nos corps chargé de grossières vapeurs,

Suscitent en nos sens des mouvements trompeurs,

Etait déjà passée et mon esprit tranquille

S’abreuvait des pavots que le sommeil distille,

Sur le point que la nuit est proche de finir,

Et le char de l’Aurore est encore à venir.

 

La Confidente.

 

Environs ce temps-là, l’opinion vulgaire,

Tient que les songes ont la vision plus claire.

 

La Mère.

 

Plusieurs évènements me sont déjà témoins

Que leur incertitude alors trompe le moins.

 

La Confidente.

 

Nous préserve le Ciel celui-ci persiste

A nous pronostiquer son aventure triste.

 

La Mère.

 

Sache que jamais songe en son obscurité

N’a fait voir tant d’horreur ni tant de vérité.

 

La Confidente.

 

Vraiment à nous ouïr j’en suis déjà touchée.

 

La Mère.

 

Le voici, Dieux ! mon âme en est effarouchée.

J’ai vu tout au travers d’un bandeau du sommeil,

Au milieu d’un désert l’éclipse du Soleil.

C’est le premier objet de la funeste image

Qui marque en mon dessein un assuré dommage.

En cette nuit épaisse où partout l’univers,

Les objets demeuraient également couverts,

J’ai senti sous mes pieds ouvrir un peu la terre,

Et da là sourdement bruire aussi le tonnerre.

Un grand vol de corbeaux sur moi s’est assemblé,

La lune est dévalée et le Ciel a tremblé.

L’air s’est couvert d’orages et dans cette tempête,

Quelques gouttes de sang m’ont tombé sur la tête.

Un lion d’œil ardent et le crin hérissé,

Dessus son large col hideusement pressé,

Rugissant sans me voir auprès de la caverne

A fait autour de moi deux ou trois fois un cerne.

Certains cris souterrains rompu par des sanglots

Comme un mugissement de rivage et de flots,

Au travers le silence et l’horreur des ténèbres,

M’ont transpercé le cœur de leurs accents funèbres.

 

La Confidente.

 

O Dieux ! tant seulement à vous ouïr parler,

Je sens que tout d’horreur mon cœur se va geler.

 

La Mère.

 

De là tombant à coup dans les frayeurs plus vives,

Il m’a semblé d’errer aux infernales rives,

Où d’une nuit plus noire encore m’aveuglant,

J’ai rencontré d’abord un corps pâle et sanglant,

Qui me représentait d’un objet lamentable

De ma fille Thisbé le portrait véritable.

Ce corps avait le sein de trois grand coups ouvert,

Qui teignait le linceul dont il était couvert.

Aussitôt que se yeux ont connu mon visage,

Quoi qu’ils ne fussent plus que d’ombre et de nuage,

M’élançaient des regards avec un tel effort

Qu’ils me semblaient des traits que décochât la mort.

Puis m’approchant me dit d’une vois aigre et forte :

Que cherches-tu tigresse ? et bien me voilà morte !

Tu viens donc inhumaine en ces bords malheureux,

Pour encore épier nos esprits amoureux.

Et me prenant la main tire hors de ma place,

Pour me montrer Pyrame étendu sur la glace

Qui par le même endroit d’autant de coups blessé,

Montrait qu’un même esprit l’avait aussi poussé.

Vois ! dit-elle, barbare en ce piteux spectacle,

De quoi nous a servi ton envieux obstacle.

Qui te meut de venir troubler notre amitié ?

Ici notre destin abhorre ta pitié,

L’enfer plus doux que toi laisse vivre nos flammes ;

Va ! ne reviens jamais importuner nos âmes.

Là son bras m’a poussée ; alors tout en sursaut,

Je me suis éveillée avec un cri fort haut.

N’est-ce pas là de quoi me donner de l’ombrage ?

 

La Confidente.

 

Mais bien de quoi troubler le plus hardi courage.

 

La Mère.

 

Vraiment je me repens d’avoir tenté si fort

Une si bonne fille et connais que j’ai tort.

Je veux dorénavant d’une bride moins forte

Retenir les désirs où son âge la porte.

 

La Confidente.

 

Madame, il est bien vrai qu’un peu moins rudement

Vous la gouvernerez bien plus commodément.

Comme elle est de bon sang, elle a l’humeur altière.

La force en un bon cœur fait moins que la prière.

En cet âge à peu près, il me souvient qu’un jour

Mon père me voulut détourner d’un amour

Qu’il jugeait peu sortable, et moi bien à ma sorte.

Sa défense rendu ma passion si forte

Que dedans peu de jours il vit bien qu’il fallait

A la fin s’accorder à ce qu’Amour voulait.

Ni le respect d’autrui, ni notre âme elle-même,

Ne se peut empêcher de suivre ce qu’elle aime.

 

La Mère.

 

Assure-toi d’avoir désormais le plaisir,

De me voir indulgente à son jeune désir.

 

Scène III

Thisbé, seule

 

Déesse de la nuit, Lune, mère de l’ombre,

Me voyant arriver sous ce feuillage sombre,

Tiens-toi dans ton silence et ne t’offense pas,

De l’amour effronté qui guide ici mes pas,

Ne me regarde point pour envier mon aise,

C’est assez qu’ici bas qu’Endymion te baise,

Et sans me quereller d’aucun jaloux soupçon,

Demeure toute seule avec ton garçon,

Et, crois qu’en ce dessein que mon amour hasarde,

Je n’ai d’intention pour rien qui te regarde.

Celui qui maintenant te fait ici venir,

N’a que trop dans ses yeux de quoi m’entretenir.

Et toi sacré ruisseau dont le plaisant rivage,

Semble plus accostable en ce qu’il est sauvage,

Redouble à ma faveur le doux bruit de ton cours,

Tant que tous les Sylvains en puissent être sourrd,

Et que la vaine écho de ton bruit assourdie,

Mes amoureux propos à ces bois ne redie.

Mais non, va doucement de peur de réveiller,

Les Nymphes de tes eaux, laisse les sommeiller.

L’onde ne leur met pas tant de froideur dans l’âme

Qu’elle ne s’embrasât en regardant Pyrame.

Mais quoi ? ce paresseux est encor’ à venir.

Je ne sais quel sujet le peut tant retenir.

Il a bien de l’amour, mais il n’est pas possible

Qu’il le ressente au point où je me vois sensible.

Je ne le die qu’à vous, ruisseaux, antres, forêts,

A ma faveur, Echo, commande à cette roche,

De lui toucher un mot d’un amoureux reproche.

Mais, n’ois-je pas de loin, ce semble, un peu de bruits ?

Un lion affamé qui cherche ici sa quête,

Fuis Thisbé les horreurs d’un si mauvais destin.

Dieux ! que Pyrame au moins n’en soit pas le butin.

© André & Frank Hagemann - Villa-Anemone.fr 2012