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Pyrame & Thisbé 
Acte 2

ACTE II

SCÈNE I

 

Pyrame, Disarque

 

Pyrame.

 

Je sais bien cher que ton sage dessein

Est de m’ôter la flamme et la mort du sein,

De ramener à soi ma pauvre égarée,

Qui s’est depuis deux d’avec moi séparé :

Mais sache que mon âme abhorre ta raison,

Que je prends ton conseils pour une trahison.

Et d’abord que tu viens à me parler d’éteindre

Ce feu dont nuit et jour je ne fais que me plaindre

Malgré le sentiment que j’ai de mon erreur,

Que tu perdes le soin de censurer mes pleurs,

Que ton affection consente à mes malheurs,

Et que ton jugement mette son industrie,

A conserver mon mal.

 

Disarque.

 

Mon Dieu quelle furie !

 

Pyrame.

 

Autrement, je te tiens barbare et sans pitié.

 

Disarque.

 

Que vous connaissez mal les fruits de l’amitié.

 

Pyrame.

 

Je veux que mon ami sans feinte et sans réserve

Dedans ma passions me complaise et me serve.

 

Disarque.

 

Et quoi si votre ami vous avait vu courir

Dans un danger mortel ?

 

Pyrame.

 

Qu’il me laissât mourir,

Le plus sanglant dépit que la fortune livre

A des désespérés, c’est les forces de vivre.

 

Disarque.

 

Il est vrai qu’un désir une fois emporté,

Vers un funeste amour a plus de fermeté,

On rétracte plutôt le dessein légitime,

D’une bonne action que le projet d’un crime,

Le mal à plus d’appas et ce qui plus nous nuit,

Avec plus d’adresse et de vigueur nous suit,

Vous courez obstiné ce semble à votre perte,

Quelque difficulté qui vous soit offerte,

Vos parents obligés d’un naturel devoir,

Vous opposent ici leur absolu pouvoir.

 

Pyrame.

 

C’est par où mon désir davantage se pique,

J’aime bien à forcer une loi tyrannique,

Amour n’a point de maître et vos empêchements

Ne me sont désormais que des allèchements :

C’est une occasion de me montrer fidèle,

C’est prouver à Thisbé que j’ose tout pour elle,

B’as-tu point quelquefois pris garde à sa beauté,

Toi qui par dessus tous aimes le nouveauté,

Toi qui depuis les bords d’où le soleil se lève,

Jusqu’aux flots reculés où la clarté s’achève,

Des objets les plus as fait jugé tes yeux,

En as tu reconnu qui puissent plaire mieux ?

 

Disarque.

 

Il est certain qu’elle a quelque chose de rare.

 

Pyrame.

 

Dis qu’elle a quelque chose à tenter un barbare :

Celui que ses regards ne peuvent pas toucher,

Il a des duretés de souche et de rocher.

 

Disarque.

 

Voilà bien des discours de la mélancolie.

 

Pyrame.

 

Je crois que ta raison vaut moins que ma folie,

Et que tu viens à tort me plaindre et m’accuser,

D’un erreur où les Dieux voudraient abuser,

Ne m’en parle jamais, ta résistance et vaine,

Et si tu n’as juré de t’acquérir ma haine,

Si tu n#as résolu de rompre avec moi,

Dedans ma passion ne me fais plus la loi :

Tu voudrais que j’aimasse à la façon commune,

Et qu’un lâche dessein de faire ma fortune,

M’amenât dans le but de tes intentions.

 

Disarque.

 

Je voudrais gouverner un peu vos passions,

Et vous sauver l’esprit du danger et du blâme.

 

Pyrame.

 

Est-ce à toi je te prie à gouverner mon âme ?

Ce cœur fut-il par là dedans enfermé ?

Laisse faire à la nature, celle m’a formé,

C’est d’elle dont Thisbé se voit aussi formée,

Pour enflammer ce cœur et pour en être aimée,

N’ayons tous deux qu’un but de peine et de plaisir

Semblables à l’humeur de l’âge et du désir,

Et si j’osais flatter encore mon visage,

On nous pourrait tous deux connaître en une image,

C’est le premier appas dont mon cœur soupira,

C’est le premier espoir dont Amour m’attira,

Cher esprit don mon âme heureusement se flatte,

Car son œil favorable à mes regards éclate,

Me comble de faveur, bref je fus assuré,

D’un amour mutuel elle me l’a juré,

Mes lèvres dans ses mains en ont cueilli le gage,

Et pour le confirmer d’un plus pressant langage,

Ses pensées me l’ont dit, ses yeux en sont témoins,

Car dans tous nos discours la voix parle le moins,

Nous disons d’un trait d’œil à nos âmes blessées

Biens plus qu’un livre entier n’exprime de pensées,

Et de soupirs de feu d’elle à moi repassants,

Mieux que nul confident s’expliquent à nos sens

Nous n’avons pas besoin que d’autres s’introduisent,

A traiter nos amours, les arbitres nous nuisent,

Le meilleur confident ne sert jamais si bien,

Que dans notre intérêt il ne mêle le sien,

Selon sa fantaisie il avance ou recule,

L’aveugle mouvement d’un pauvre esprit qui brûle,

Pour moi je ne saurais souffrir un gouverneur

J’aime mieux réussir avec moins de bonheur,

Les soins de la prudence ont trop d’inquiétude,

Mon âme n’a d’objet sinon ma servitude,

Où je trouve mon bien, mieux qu’en ma liberté,

Et que j’aime sans doute avant que la clarté.

 

Disarque.

 

Puis que c’est une peste à vous attachée,

Une flèche mortelle en votre cœur fichée,

C’est en vain que l’on prend le soin de vous guérir.

 

Pyrame.

 

Guérir, on ne le peut, sans me faire mourir.

 

Disarque.

 

Au moins prenez bien garde en cet’ amour furtive,

Qu’un funeste succès à vos desseins n’arrive,

Vous êtes épié  et de loin et de près,

Par des yeux vigilants qu’on y commet exprès.

 

Pyrame.

 

Toute leur diligence est assez inutile,

L’âme des amoureux n’est pas si peu subtile,

Nous savons bien choisir et le temps et le lieu,

Où même ne saurait nous découvrir un Dieu,

Ne t’en mets point en peine, et seulement endure

Si tu me veux aimer que ma fureur me dure.

Adieu, laisse-moi seul m’entretenir ici,

Voilà la nuit qui vient, le Ciel est obscurci,

Ma maîtresse m’attend afin de me complaire,

L’autre soleil s’en va quand celui-ci m’éclaire,

Privés de tous moyens de nous parler ailleurs,

Et nous pouvant venir à de accès meilleurs,

Une petite fente en cette pierre ouverte,

Par nous deux seulement encore découverte,

Nous fait secrètement aller et revenir

Les propos dont Amour nous laisse entretenir,

Car c’est le lieu par où nos passions discrètes ;

Ici, cruels parents, malgré vos dures lois

Nous faisons un passage à nos timides voix,

Ici, nos cœurs ouverts malgré vos tyrannies,

Se font entrebaiser nos volontés unies :

Conseillers inhumains, pères sans amitié,

Voyez comme ce marbre est fendu de pitié,

Et qu’à notre douleur le sein de ces murailles,

Pour receler nos feux s’entoure les entrailles,

Que l’air se prostitue à nos contentements,

L’air le plus rigoureux de tous les éléments,

Le père des frimas, la source des orages,

A plus d’humanité que vos brutaux courages,

Mais j’entends quelque bruit, c’est elle sans faillir,

Je sens tous mes esprits d’aise me défaillir,

Elle ne ment jamais, et ferait conscience,

De changer son amant de trop de patience :

Je vois comme elle approche, et marche à pas comptés

Soupçonneuse, élançant ses yeux de tous côtés.

 

Scène II

Thisbé, Pyrame,

 

Thisbé.

 

Es-tu là mon souci,

 

Pyrame.

Qui vous a retenue ?

Aujourd’hui pour le moins vous êtes parvenue,

Vous arrivez plus tard que je ne fis pas hier.

 

Thisbé.

 

Il est vrai que j’ai tort, je ne le puis nier :

Mais quand je t’aurai dit ce qui ma dû contraindre,

Je crois que tu seras obligé de me plaindre,

Il te ferai pitié, car je ne pense pas

Que le mal qu’on m’a fait soit moins que trépas.

Pyrame.

 

Comment, vous a-t-on fait quelque injure mon âme ?

Quelqu’un en son absence a t’il blâmé Pyrame ?

Un Dieu me le pourrait avec impunité.

 

Thisbé.

 

Cette offense n’était que l’importunité

D’une vieille hideuse et sotte créature,

Qui m’a tout aujourd’hui mis l’âme à la torture,

Qui ma fait tant de lois m’a tant donné l’avis,

Et tant réitéré d’inutiles devis,

Qu’on tarirait plutôt l’humidité de l’onde,

Que cette humeur chagrine en caquets si féconde.

 

Pyrame.

 

Dites-moi, je vous prie, encore en quoi tendait

Les discours où plus fort la vieille s’étendait ?

 

Thisbé.

 

De rendre une parfaite et pleine obéissance

A ceux à qui je dois le bien de ma naissance,

De ne me dispenser de prendre aucun plaisir,

Que leur commandement ne me le vint choisir,

Surtout de bien défendre, et l’esprit et l’oreille

Des pointes dont Amour un jeune sang réveille,

Que les jeunes esprits n’ont rien de dangereux,

Au prox que d’écouter un conseil amoureux :

Que même au plus heureux cet appas est funeste,

Que c’est un précipice, un poison, une peste.

 

Pyrame.

 

Elle bous a donc fait l’amour bien odieux.

 

Thisbé.

 

Elle me l’a dépeint comme il est dans ses yeux.

 

Pyrame.

 

Etranges changements où tombe la nature,

Un pauvre corps usé qui n’est que pourriture,

Une vieille à qui l’âge a séché les humeurs,

A qui les sens gâtés ont perverti les mœurs,

Un sang gros et pesant, toujours froid comme glace,

Si ce n’est qu’une fièvre échauffe un peu sa masse,

Un tronc de nerfs et d’os d’artifice mouvant,

Qu’on ne saurait nommer qu’un fantôme vivant,

Persécuté toujours d’une jalouse ennuie,

Le passe-temps heureux de notre jeune vie,

Ces vieillards dont l’esprit et le corps abattu,

Erigent l’impuissance en titre de vertu,

Eux-même qui le cours de la nature suivent,

Qui selon l’appétit de leur vieillesse vivent,

Prétendent contre nous forcer l’ordre du temps,

Et que nous soyons vieux en l’âge de vingt ans,

Nos mœurs par leur exemple imprudemment censurent,

Alléguant ce qu’ils sont et non pas ce qu’ils furent,

Au moins ma chère vie en ce sot entretien,

Je crois que cet esprit n’a rien pu sur le tien.

 

Thisbé.

 

Ces discours m’ont passé plus loin qu’une nuée.

 

Pyrame.

 

Ta bonne volonté n’est pas diminuée.

 

Thsibé.

 

Elle a crû davantage, on n’a fait que jeter,

Du soufre dans la flamme afin de l’irriter :

Je suis d’un naturel à qui la résistance,

Renforce le désir, l’espoir et la constance,

Je crois qu’on me verrait mourir autant de fois,

Qu’on me force d’ouïr ces importunes voix,

Sinon que mon amour de plus en plus persiste,

Et brûle davantage alors qu’on lui résiste,

Et je n’ai rien de ce cher comme une occasion,

De tout ce qui saurait nourrir par passion,

Puis qu’au divin objet dont je suis amoureuse,

Le sort veut que je sois parfaitement heureuse,

Que tu mérites l’inviolable foi,

Que jusque au tombeau je garderai pour toi.

 

Pyrame.

 

Et moi, si le tombeau laissait encor aux âmes

Quelques petit rayon de leurs défuntes flammes,

Je n’aurais autre feu que toi dans les enfers,

Et dedans leurs prisons je n’aurais que tes fers,

Mais parmi nos discours nous ne prenons pas garde,

Que ce deux entretien don Amour nous retarde,

S’il n’est bien ménagé nous manquera bientôt.

 

Thisbé.

 

Hélas ! ne pourrons nous jamais dire qu’un mot,

Les oiseaux dans les bois ont toute la tournée,

A chanter la fureur qu’Amour leur a donnée,

Les eaux et les Zéphires quand ils se font l’amour,

Leur rire et leur soupirs font durer nuit et jour.

 

Pyrame.

 

Il se faut retirer de crainte qu’il n’arrive

Que de ce peu de bien encor on ne nous prive.

 

Thisbé.

 

Dans une heure au plus tard je reviens donc ici.

 

Pyrame.

 

Et moi, je serai mort si je n’y viens aussi.

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