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Requête au Roi

Requête

de Théophile

au Roi

Au milieu de mes libertés,

Dans un plein repos de ma vie ;

Où mes plus molles voluptés

Semblaient avoir passé l’envie

D’un trait de foudre inopiné,

Que jeta le Ciel mutiné

Dessus le comble de ma joie,

Mes desseins se virent trahis

Et moi d’un même coup la proie

De tous ceux que j’avais hais.

Le visage des Courtisans,

Se peignit en cette aventure

Des couleurs dont les médisants

Voulurent peindre ma nature :

Sépara mon destin du leur,

Mes amis changèrent de face,

Ils furent tous muets et sourds,

Et je ne vois en ma disgrâce

Rien que moi-même à mon secours.

Quelque faible solliciteurs,

Faisaient encor un peu de mine

D’arrêter mes persécuteurs

Sur le penchant de ma ruine :

Mais en un péril si pressant,

Leur secours fut si languissant,

Et ma guérison si tardive,

Que la raison me résolut,

A voir si quelque étrange rive

M’offrait un port de salut.

Je fus longtemps à désigner

Où j’irais habiter la terre,

Et sur le point de m’éloigner,

Mille peurs me feront la guerre :

Car le Soleil qui chaque jour,

Fait si vite un si large tour,

Ne visite point de contrée

Où ces chefs de dissertions

Ne donnent aisément l’entrée,

A quelqu’un de leurs espions.

Après cinq ou six mois d’erreurs :

Incertain en quel lieu du monde,

Je pourrais asseoir les terreurs

De ma misère vagabonde,

Une incroyable trahison

Me fit rencontrer ma prison

Où j’avais cherché mon asile,

Mon protecteur fut mon sergent,

O grand Dieu qu’il est difficile

De couvre avec de l’argent.

Le billet d’un Religieux,

Respecté comme des patentes,

Fait épier en tant de lieux

Le porteur des Muses errantes,

Qu’à la fin deux méchants Prévôts,

Fort grands voleurs, et très dévots,

Priant Dieu comme des Apôtres,

Mirent la main sur mon collet,

Et tous disant leur Patenôtres,

Pillèrent jusqu’à mon valet.

A l’éclat du premier appas,

Eblouis un peu la proie,

Il doutaient de fausse monnaie.

Ils m’interrogeaient sur le pris

Des quadruples qu’on m’avait pris,

Qui n’étaient pas au coin de France,

Lors il me prit un tremblement,

De crainte que leur ignorance

Me jugeât prévôtalement.

Ils ne pouvaient s’imaginer,

Sans soupçon de beaucoup de crimes,

Qu’on trouvât tant à butiner,

Sur un simple faiseur de rimes,

Et quoique l’or fort bon et beau,

Aussi bien au jour qu’au flambeau,

Ils croient me voyant sans peine,

Quelque fonds qu’on me dérobât,

Que c’étaient de feuilles de chêne,

Avec la marque de Sabat.

Ils disaient entre eux sourdement

Que je parlais avec la Lune,

Et que le diable assurément

Etaient auteur de ma fortune :

Que pour faire service à Dieu,

Il fallait bien choisir un lieu,

Où l’objet de leur tyrannie

Me fit sans cesse discourir,

Du trépas plein d’ignominie,

Qui me devait faire périr.

Sans cordon, jarretières ni grands,

Au milieu de dis hallebardes,

Je flattais deux gueux arrogants,

Qu’on m’avait ordonné pour garde :

Et nonobstant chargé de fers,

On m’enfonce dans les enfers,

D’une profonde et noire cave,

Où l’on n’a qu’un peu d’air puant

Des vapeurs de la froide bave

D’un vieux mur humide et gluant.

Dedans ce commun lieu de pleurs,

Où je me vis si misérables,

Les assassins et les voleurs,

Avaient un cran plus favorable :

Tout le monde disait de moi,

Que je n’avais ni foi ni loi,

Qu’en ne connaissant point de vice,

Où mon âme ne s’adonnât,

Et quelque trait que j’écrivisse,

C’était pis qu’un assassinat.

Qu’un saint homme de grand esprit,

Enfant du bienheureux Ignace

Disait en chaise et par écrit,

Que j’étais mort par contumace

Que je ne m’était absenté

Que de peur d’être exécuté,

Aussi bien que mon effigie,

Que je n’était qu’un suborneur,

Et que j’enseignais la Magie,

Dedans les cabarets d’honneur.

Qu’on avait bandé les ressorts

De la noire et forte machine,

Dont le souple et vaste corps

Etend ses bras jusqu’à la Chine ;

Qu’en France et parmi l’étranger,

Ils avaient de quoi se venger,

Et de quoi forger une foudre,

Dont le coup me ferait fatal,

En dût-il coûter plus de poudre

Qu’ils n’en perdirent à Wital.

Que par le sentiment chrétien,

D’une charité volontaire,

Infinité de gens de bien

Avaient entrepris mon affaire,

Qu’on était si fort irrité.

Qu’en dépit de la vérité,

Que Jésus Christ a tant aimée,

Pour les intérêts du Clergé,

On me voilait voir en fumée

Soudain que je serais jugé.

Et le gaillard père Guérin,

Qui tous les jours fait dans la chaise,

Plus de leçons à Tabarin,

Qu’à tous le Clercs d’un Diocèse,

Ce vieux Bateleur déguisé,

Comme s’il eût bien disposé

Et Ciel et terre à ma ruine,

Prêchait qu’à peu de jours de là

La justice humaine et divine,

M’immolerait à Loyola.

On emploie de par le Roi,

De la force et de l’artifice

Comme si Lucifer pour moi

Eût entreprit sur la justice :

A Paris soudain que j’y fus,

J’entendais par des bruits confus

Que tout était prêt pour me cuire :

Et je doutais avec raison,

Si ce peuple m’allait conduire,

A la Grève ou dans la prison.

Ici donc comme en un tombeau,

Troublé du péril où je ressue,

Sans compagnie et sans flambeau

Toujours dans le discours de Grève,

A l’ombre d’un petit faux jour,

Qui perce un peu l’obscur tour,

Ou les bourreaux vont à la quête,

Grand Roi, l’honneur d’Univers,

Je vous présente le Requête

De ce pauvre faiseur de Vers.

Je demande premièrement

Qu’on supprime ce grand volume,

Qui brave trop insolemment

La captivité de ma plume,

Et que Monsieur le Cardinal

Après m’avoir fait tant de mal,

Pour l’amour de Dieu se retienne

Il va contre la charité

Et choque une verte chrétienne
Quand il choque ma liberté.

 

© André & Frank Hagemann - Villa-Anemone.fr 2012