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Pyrame & Thisbé
Acte 3

Acte III

Scène I

 

Deuxis, Syllar, Pyrame.

 

Deuxis.

 

Syllar je suis troublé d’un funeste présage,

Un glaçon de frayeur m’étreint tout le courage

Pensant à tel dessein je remets aux yeux,

Les justes jugements des hommes et des yeux.

 

Syllar.

 

Quoi ! tu manques de cœur ?

 

Deuxis.

 

Je sens le contrainte,

En ce que j’entreprends et non pas de la crainte.

 

Syllar.

 

Je connais ton courage, et c’est la cause aussi

Qui fait que je t’emploie en cette affaire ici.

 

Deuxis.

 

Il est beau de tenter une mort légitime,

Pour quelque grand exploit et qui se fait sans crime.

On appelle courage un esprit généreux,

Qui n’est point inhumain comme il n’est point peureux,

Qui meurt sur une brèche, et dont les funérailles,

Se sont chez l’ennemi sous un bris de murailles,

Selon que ce sujet est lâche ou glorieux ,

Mais pense à quelle fin nous avons pris l’épée,

A quel exploit sera notre main occupée,

Quoi sans être offensés nous nous voulons venger

Quand on n’a point de haine on n’en saurait forger.

 

Syllar.

 

Notre commission donne toute licence.

 

Deuxis.

 

On ne peut sans remord se prendre à l’innocence,

Il ne nous a rien fait, nous le voulons tuer.

 

Syllar.

 

La volonté du Roi se doit effectuer.

 

Deuxis.

 

Si quelque excès léger contenait sa colère,

Je crois que justement on lui pourrait complaire,

Mais en un fait semblable, en une trahison,

Chacun le peut dédire avec trop de raison.

 

Syllar.

 

En dédisant son Roi, quelque juste apparence

Que puisse prendre un peuple, il commet une offense,

Comme les Dieux du Ciel, sur la terre les Rois,

Etablissent aussi des souveraines lois,

Ils partagent égaux ce que le monde enserre,

Les Dieux son Rois du Ciel, les Rois Dieux de la terre,

Jupiter d’un clin d’œil fait les astres mouvoir,

Et nos Princes sur nous ont le même pouvoir,

Al la grandeur des dieux leur grandeur se figure,

Comme au vouloir des Dieux leur vouloir se mesure.

 

Deuxis.

 

Il leur faut obéir si leur commandements

Imite ceux des Dieux qui font tout justement.

 

Syllar.

 

Enquérir leur secret tient trop de téméraire,

C’est aux Rois à le dire, et à nous à le faire,

S’il a mal commandé, l’homicide commis

Tombera sur sa tête et nous sera remis,

Le devoir ignorant rend une âme innocente.

 

Deuxis.

 

Mais connaissant le mal, il faut qu’elle consente,

Un devoir ignorant, et quoi ne vois-tu pas

Qu’on brasse à innocent un perfide trépas

Que l’Enfer un pareil n’en saurait faire naître.

 

Syllar.

 

Saches qu’un serviteur doit obéir au maître,

Considérant de près et l’honneur et le droit,

Tout le monde sans doute ici nous répondrait :

Mais, nous sommes forcés, le Prince le fait faire,

Il lui faut obéir, c’est un point nécessaire.

 

Deuxis.

 

Et pourquoi nécessaire, il vaut mieux encourir

Sa disgrâce éternelle ?

 

Syllar.

 

Il vaut mieux donc mourir.

 

Deuxis.

 

J’aimerais mieux la mort qu’une honteuse vie,

De remords criminels incessamment suivie,

Quand le chien des Enfers avec ses abois

Vient troubler les vivants, ils sont morts mille fois.

Mais, mourant pour l’honneur, on court par les brisées

D’un bienheureux repos dans les champs Elysées,

Les esprits dépêtrés de vicieux discords,

Qu’ils ont avec nos sens,  joyeux quittent nos corps.

 

Syllar.

 

Quelque si doux accueil que Mercure prépare,

Crois qu’un homme se trouble alors qu’il se sépare,

Que les corps trépassés d’une pierre couverts,

Changent les os en poudre, et la charogne en vers,

Que les esprits errants par les rimes funèbres,

D’un Cocyte inconnu, ne sont plus que ténèbres,

Qu’on soit bien dans ce règne où Pluton sa cour,

C’est un compte, il n’est rien de si beau que le jour,

Le moindre chien vivant vaut mieux que cent cohortes,

De tigres, de lions, ou de panthères mortes,

Bien que pauvre sujet, je préfère mon sort,

A celui-là d’un Prince ou d’un monarque mort :

Crois-mois, suis mon conseil, ne donnons point nos têtes,

Pour préserver autrui ne soyons si bêtes.

 

Deuxis.

 

Mourrions-nous pour cela ?

 

Syllar.

 

Crois-tu vivre un moment,

Après t’être moqué de son commandement ?

 

Deuxis.

 

Mais le Rois craint-il point la justice plus haute,

Et nous faisant mourir, il découvre sa faute.

Nos têtes ne sauraient venir sur l’échafaud,

Sans y faire monter son criminel défaut.

 

Syllar.

 

Pour nous exterminer quand ils en ont envie,

Les Rois on cent moyens pour nous ôter la vie.

Nos jours sont dans leurs mains, ils les peuvent finir,

Ils peuvent le plus juste innocemment punir,

Quelque tort que ce soit, quand un rois nous accuse.

Sa grande autorité ne manque point d’excuse,

Contre le Prince aux droits il ne faut se fier,

Le prétexte plus faux le peut  justifier,

Outre qu’au Souverain la perte de deux hommes

Ne se doit reprocher de deux tels que nous sommes,

Plusieurs qui ne sont point ainsi religieux,

Et qu’un si grand secret rendrait trop glorieux,

Ces mouvements du Roi ce craindront pas de suivre,

Après cela crois-tu qu’il nous souffrît de vivre ?

Nous ne saurions fuir de son bras irrité

L’injure d’un supplice à demi mérité.

 

Deuxis.

 

Il faut donc se bannir, et bien loin d’un empire,

A tous les gens de bien, le moins sûr et le pire.

 

Syllar.

 

Voyageant l’Univers de l’un à l’autre bout,

Nous ne saurions fuir, les Rois courent par tout,

Ils ont de longues mains qui partout ce bas monde,

Sans se mouvoir d’un lieu touchent la terre et l’onde.

Deuxis.

 

Tu dis vrai, ta raison me rend ores confus.

 

Syllar.

 

Coupables vers le Rois de ce couard refus,

C’est fait de nous aussi, faisant ce qu’il commande,

Sans doute après cela notre fortune est grande,

Ces royales faveurs nos esprits saouleront,

Et dans nos cabinets des flots d’or couleront.

 

Deuxis.

 

L’or, ce métal sorcier, corrompt tout par ses charmes,

Devant lui prosterné, l’honneur met bas les armes,

Il n’est si fort rempart de justice ou de foi,

Qu’il ne brise, il ne craint ni piété ni loi.

L’or peut tout, même alors que son appas s’adresse,

A des hommes vaillants que la misère presse,

Comme moi malheureux que l’horreur de la faim,

Contraint à désirer ce détestable gain,

Monstre de pauvreté, ta dent est plus funeste,

Que le feu plus cuisant et la plus forte peste,

Le meurtrier que la peur bourrelle incessamment,

Ai prix de tes forçats est puni doucement,

Dans les plus grands remords des faits les plus infâmes

Savoir qu’on a du bien console fort les âmes,

L’argent purge le crime et nous guérit de tout.

 

Syllar.

 

A la fin tout va bien, je vois qu’il se résout.

 

Deuxis.

 

Le sort est jeté, mon âme est eposée,

A ce qui te plaira, je vois l’affaire aisée.

 

Syllar.

 

Il ne faut seulement que guetter ici.

 

Deuxis.

 

Le voilà, ce me semble.

 

Syllar.

 

Il me le semble aussi.

 

Deuxis.

 

Donnons en même temps.

 

Pyrame.

 

On ne me peut surprendre :

Assassins vous savez si je me sais défendre,

Bien que seul contre deux je vous ferai sentir,

Qu’on ne se prend à moi qu’avec du repentir.

 

Deuxis.

 

O, Dieux ! je suis blessé.

 

Pyrame.

 

Si ma main est meilleurs,

Ce lâche et traître sang tu vomiras sur l’heure,

Ton sort comme le sien pend au bout de ce fer.

 

Syllar.

 

Fuyons, je crois que c’est un fantôme d’enfer.

 

Deuxis.

 

O Dieux ! que je fais bien ici l’expérience,

Qu’il ne faut rien tenter contre sa conscience.

 

Pyrame.

 

Conscience voleur, je crois que le remords,

Ne te presse qu’en tant que tu vas voir les morts,

Que tu sens la frayeur d’une peine éternelle,

Recueillir en mourant tom âme criminelle.

 

Deuxis.

 

Ha ! si vous me laissez un peu la liberté,

De vous parler avant que perdre la clarté.

 

Pyrame.

 

Que me saurais tu dire ?

 

Deuxis.

 

Une chose sans doute

Qui vous pourrait servir.

 

Pyrame.

 

I l faut que je l’écoute,

Qu’est-ce ?

 

Deuxis.

 

Ce qu’on pourrait à peine deviner,

Le Roi nous a contraints de vous assassiner.

 

Pyrame.

 

O Ciel ! que m’as tu dis, mais, faut-il croire un traître ?

 

Deuxis.

 

Je vous dis ce qui est.

 

Pyrame.

 

Mais ce qui ne peut être :

Dieux ! tout mon sang se trouble, il est vrai que le Roi

Aime à ce qu’on m’a dit, en même lieu que moi.

Hélas ! je suis perdu, mon mal est sans remède,

Contre mon Roi, quel Dieu puis-je trouver qui m’aide.

 

Deuxis.

Voyez de vous conduire en cela sagement,

Maintenant je trépasse avec allègement.

 

Pyrame.

 

L’Enfer te soit propice, et sa nuit malheureuse,

Pour un si remords de te soit moins rigoureuse,

Au reste, il faut fuir, c’est le meilleur conseil,

Sans faire plus ici, ni repos, ni sommeil,

Quand le courroux des Rois fait éclater leurs âmes

C’est pis dix mille fois que torrents et que flammes.

Il faut s’ôter de là, mais de nécessité,

Thisbé, vous m’en avez souvent sollicité,

Vous m’avez dit cent fois que vous seriez heureuse,

De suivre loin d’ici ma fortune amoureuse

Que vous craigniez ce Prince, et que par son amour

Quelque malheur au nôtre arriverait un jour,

Il y faudra pourvoir, et si l’humeur hardie,

De ce courage ardente ne s’est pas refroidie,

Nous nous affranchirons des ses cruelles lois,

Et nous n’aurons que nous, de parents, ni de Rois.

 

Scène I

le Roi, Messager, Syllar.

Le Roi.

 

A cet affront le sang au visage me monte

Que ma condition souffre aujourd’hui de honte

Sachant que de ma part tu lui voulais parler.

 

Messager.

 

En vain cent fois le jour vous m’y feriez aller.

 

Le Roi.

 

Que Thisbé n’a point fait semblant de te connaître.

 

Messager.

 

Sire tout aussitôt qu’elle m’a vu paraître,

Détournant ses regards, surprise à l’impourvue,

Ainsi qu’elle aurait fait d’un serpent qu’elle eût vu,

Elle s’est engagée en une compagne,

A faire des discours d’une suite infinie,

Jusqu’à tant qu’elle a pu se dérober de moi.

 

Le Roi.

 

Traiter si rudement la passion d’un Roi,

Faut-il que nous ayons, fils des Dieux que nous sommes,

Le sentiment semblable au vulgaire des hommes ?

Ingrate, si faut-il que je te mette un jour

Dans le choix d’éprouver ma haine ou mon amour,

Tu sauras que je règne, et que la tyrannie

Me peut bien accorder ce que l’amour me nie,

Ce beau fils dépêché, si ton cœur ne démord,

Tu te pourras bien voir sa compagne à la mort.

Mais voici de retour mon fidèle ministre,

Je lis dessus son cœur quelque rapport sinistre,

Il craint de m’aborder, perle et lève les yeux.

 

Syllar.

 

L’affaire va très mal.

 

Le Roi.

 

Je n’attendais pas mieux.

 

Syllar.

 

Mon compagnon est mort et moi couvert de plaies,

Vous viens faire rapport de ces nouvelles vraies,

Nous avions à peu près, l’ouvrage exécuté,

Que le peuple en fureur dessus nous s’est jeté,

Et d’armes et de cris une croissante suite

A peine m’a donné le loisir de la fuite.

 

Le Roi.

 

C’est trop, je vois qu’Amour se moque de mes vœux,

Que le Ciel par dessein défend ce que je veux,

Je suis au désespoir, mon âme est trop gênée.

J’ai gardé dans le sein la mort toute une année,

Mes malheurs vont sans fin l’un l’autre se suivant.

La saison d’hiver n’a jamais tant de vents,

Jamais tant de frimas, ni de froid, ni de grêle,

Qu’il ne fasse en trois mois quelque beau jour pour elle,

Jamais vieillard caduc ne s’est si mal porté,

Qu’il n’ait eu dans l’année quelque heure de santé.

Eole quelquefois tient tous les vents en bride,

Et fait voir aux nochers le front des eaux sans ride :

Et l’astre le plus fier et plus malin des Cieux.

Jamais de mon destin n’a détourné ses yeux,

Ce traître me donna le sceptre et le courage,

Pour me donner les maux avec plus d’outrage :

Mais, je me plains en vain, le Ciel n’a point de tort,

Tout homme de courage est maître de son sort.

Il range la fortune à son obéissance,

Son devoir ne connaît de loi que sa puissance.

Même quand c’est un Roi qui n’a d’autre devoir,

Que de jouir des droits d’un souverain pouvoir.

Non ! non, mon jugement n’est plus sur la balance,

Syllar, tous mes conseils vont à la violence.

Retente une autre fois encor tout le dessein,

Va dans son lit lui mettre un poignard dans le sein.

Dis que c’est de ma part, fais toi donner main forte.

Pour forcer la maison, di que c’est moi, n’importe,

Controuve quelque crime afin de l’accuser,

En mon nom, tu pourras tout dire et tout oser.

 

Syllar.

 

Que la fureur des Rois est une chose étrange,

Ils veulent que le Ciel à leur humeur se range,

Que tout leur fasse joug en ce cruel désir,

S’il se serait d’un autre il me ferait plaisir.

© André & Frank Hagemann - Villa-Anemone.fr 2012