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Le Pedant Joué

Acte V

Scène première

Granger, Paquier.

Granger.

Quoi ! tout cela ce que j’ai vu …

Paquier.

N’est que feinte.

Granger.

Donc mes yeux, donc mes oreilles…

Paquier.

Vous ont trompé.

Granger.

Conte-moi donc la série et la concaténation des projets qu’ils machinent.

Paquier.

Que diantre, que vous avez la tête dure ! Je vous ai dit que votre fils a contrefait l’ivrogne afin que tantôt Corbineli vous persuade plus facilement qu’ayant pris querelle dans les fumées de la débauche, il se sera battu et aura été tué sur la place.

Granger.

Mais cui bono toute cette machine de fourbes ?

Paquier.

Cui bono ? je m’en vais l’apprendre. C’est qu’étant ainsi trépassé, Mademoiselle Genevote, laquelle a pris langue des conjurés, doit feindre qu’elle avait promis au défunt de l’épouser vif ou mort et qu’à moins de s’être acquittée de sa parole, elle n’ose vous donner la main. Corbineli, là-dessus, vous conseillera de lui faire épouser le cadavre (au moins de faire toutes les cérémonies qu’on observe dans l’action des épousailles) afin qu’étant ainsi libre de sa promesse, elle vous la puisse engager. Donc, comme ils s’y attendent bien, quand vous leur aurez fait prêter la foi conjugale, votre fils doit ressusciter et vous remercier du présent que vous lui aurez fait.

Granger.

Donc, la mine est éventée et j’en suis obligé à Paquier, mon factotum. Je ne te donnerai point une couronne civique à la façon des romains quoique tu aies sauvé la vie à un bourgeois, honorable homme maître Mathieu Granger, ayant pignon sur rue ; mais, je te donne un impôt sur la pitance de mes disciples. Voici l’heure à laquelle ces pêcheurs s’empêtront dans leurs propres filets. Justement, j’aperçois le fourbe qui vient. Considère à ton aise la tempête du port.

Scène II

Corbineli, Granger, Paquier.

Corbineli.

Serai-je toujours ambassadeur de mauvaises nouvelles ? votre fils est mort. Au sortir d’ici, étant (comme vous savez) un peu plus gai que de raison, il a choqué d’un S un cavalier qui passait. L’un et l’autre se sont offensés ; ils ont dégainé, et, presque en même temps, votre fils est tombé mort, traversé de deux grands coups d’épée. J’ai fait porter son corps…

Granger.

Quoi ! la fortune réservait au déclin de mes ans le spectacle d’un revers si lugubre ! Misérable individu, je te plains, non point pour t’être acquitté de bonne heure de la dette où nous nous obligeons tous en naissant ; je te plains, ô trois et quatre fois malheureux ! de ce que tu as occumbé d’une mort où l’on ne peut rien dire qui n’ait déjà été dit ; car, de bon cœur, je voudrais avoir donné un talent et que tu eusses été mangé des mouches à ces vendanges dernières : j’aurais composé là-dessus une épitaphe la plus acute qu’auent jamais vantée les siècles pristins.

Paquier.

A-t-il eu le temps de se reconnaître ? Est-il bien mort ?

Corbineli.

Si bien mort qu’il n’en reviendra point.

Granger.

Corbineli, appelle Mademoiselle Genevote. Elle diminuera mes douleurs en les partageant. Vraiment oui, c’est aux pèlerins de Saint-Michel qu’il faut apporter des coquilles !

Scène III

Genevote, Granger, Paquier, Corbineli.

Granger.

Mon fils a vécu, Mademoiselle, et je dirais qu’il vit encore, si j’avais achevé un poème que je médite sur le genre de son trépas. Je vous avertis toutefois que vous écriez sacrilège si vous lamentiez la fin d’un homme qui, pour une vie méchante et périssable, en recouvre une dans mes cahiers immortelle et tranquille.

Genevote.

Quoi ! Monsieur Granger n’est plus ? Nous étions trop bien unis pour être sitôt séparés ! Je veux comme lui sortir de la vie : mais, d’autant que la nature qui nous a mis au jour sans notre consentement ne nous permets pas de le quitter sans le sien, je veux sortir de la vie et rester entre les vivants ; c’est à dire que, dès aujourd’hui, je vais faire dans un cloître u solennel sacrifice de moi-même. Je n’ignore pas, Monsieur, ce que je dois à votre affection ; mais l’honneur qui me défend de manquer à ma foi, ne me défend pas de manquer à mon amour ; et je vous jure que si, par un impossible, ces deux incidents ne souffraient point de répugnance, je me sacrifierais de tout mon cœur à votre désir.

Granger.

Oui, ma Cythérée, oui, vous pouvez m’épouser et garder votre parole. Il faut, pour rendre quitte de votre promesse que vous l’épousiez mort. Nous passerons le contrat et ferons le reste des cérémonies ; puis, quand ainsi vous serez libre de votre serment, nous procéderons tout à loisir à notre mariage.

Corbineli.

Il semble que vous soyez inspiré de Dieu, tant vous parlez divinement.

Granger.

Une seule chose m’arrête : c’est qu’étant un miracle, vous n’en fassiez un ; que vous ne rendiez la vie à ceux qui ne sont pas morts et que vous ne fassiez ariver céans la résurrection avant pâques ?

Corbineli, (tout bas).

O puissant Dieu des fourbes, ma corde vient de rompre ; fais que je la renouvelle en sorte, par ton moyen, qu’elle vaille mieux qu’une neuve !

Granger.

Et toi, tu me trahis, figitif infidèle du parti de mon amour ! Toi que j’avais élu pour la boîte, l’étui, le coffre et le garde-manger de toutes mes pensées ! Tu m’es Cornélius Tacitus, au lieu de mêtre Cornélius Publius.

Paquier.

Choisis lequel tu aimes le mieux, d’être assommé ou pendu.

Corbineli.

J’aime mieux boire.

Granger.

Ce n’était pas assez de m’avoir volé au nom des Turcs, il fallait ajouter une nouvelle trahison ! Et de son corps, donc, menteur infâme, qu’en as-tu fait ?

Corbineli.

Ma foi ! là-dessus, je m’éveillai.

Granger.

Que veux-tu dire, tu t’éveillas ?

Corbineli.

Vraiment oui ; il ne me fut pas possible de dormir davantage car votre fils faisait un tonnerre de diable avec une assiette dont il tambourinait sur la table.

Genevote.

Et moi, j’ai fait semblant d croire que votre fils était mort pour vous faire goûter quand vous le reverriez un plus pur contentement par l’opposition de son contraire.

Granger.

Quoi qu’il en soit, Mademoiselle, le fiel importun de mes angoisses n’est que trop adouci par le miel sucré d’un si friand discours. Mais, pour ce fourbe de Corbineli, il faut avouer que c’est un grand menteur.

Corbineli.

J’affecte pour moi d’être remarqué par le titre de Grand sans me soucier que ce soit celui de grand menteur, grand ivrogne, grand politique, grand czar, grand Turc, grand mufti, grand vizir, grand Tepherdat, Alexandre le Grand ou grand Pompée. L ne m’importe pourvu que cette épithète remarquable m’empêche de passer pour médiocre.

Granger.

Tu t’excuses de si bonne grâce que je serais presque en colère que tu ne m’eusse point fâché. Je t’ordonne pourtant pour pénitence de nous exhiber le spectacle de quelque intrigue, de quelque comédie. J’avais mis en jeu mon paranymphe des Muses, mais Monsieur de La Tremblaye n’as pas trouvé bon que rien se passât sur ces matières sans prendre ton avis.

Corbineli.

En effet, votre déclamation n’eût pas été bonne parce qu’elle est trop bonne Ces doctes antiquités ne sont pas proportionnées à l’esprit de ceux qui composent les membres de cette compagnie. J’en sais une Italienne dont le démêlement est fort agréable. Amenez seulement ici Monsieur de La Tremblaye, votre fils et les autres afin que je distribue les rôles sur-le-champ.

Granger.

Extemplo, je les vais congréger.

Scène IV

Genevote, Corbineli.

Genevote.

La corde a manqué, Corbineli.

Corbineli.

Oui, mais j’en avais plus d’une. Je vais engager notre bon seigneur dans un labyrinthe où de plus grands docteurs que lui demeureraient à quia.

Scène V

Granger, aquier, Genevote, Corbineli.

Granger.

Au feu ! au feu !

Genevote.

Où est-ce ? où est-ce ?

Granger.

Dans la plus haute région de l’air selon l’opinion des péripatéticiens. Eh bien, ne sui-je pas habile à la riposte ? Ma langue est une vipère qui porte le venin et la thériaque tout ensemble. C’est la pique d’Achille qui seule peut guérir les blessures qu’elle a faites ; et, bien loin de ressembler aux bourreaux d la faculté de médecine qui d’une égratignure font une grande plaie, d’une grande plaie je fais moins qu’une égratignure.

Corbineli.

Nus perdons autant de temps que si nous devions pas aujourd’hui faire la comédie ! Je m’en vais instruire ces gens-ci de ce qu’ils auront à dire. Je te donnerais bin des préceptes, Paquier, mais tu n’aurais pas le temps d’apprendre tant de choses par cœur ; je prendrai son, me tenant derrière toi, de te souffler ce que tu auras à dire. Vous, Monsieur, vous paraîtrez durant la pièce ; et, quoique d’abord votre personnage semble sérieux, il n’yen a pas un si bouffon.

Granger.

Qu’est ceci ? Vous m’engagez à soutenir des rôles dans vos batelages et vous ne m’en racontez pas seulement le sujet.

Corbineli.

Je vous en cache la conduite parce que, i je vous l’expliquais à cette heure, vous auriez bien le plaisir maintenant de voir un beau démêlement, mais non pas celui d’être surpris. En vérité, je vous jure que, lorsque vous verrez tantôt la péripétie d’une intrigue si bien démêlée, vous confesserez vous-même que nous aurions été des idiots, si nous vous l’avions découvert. Je veux toutefois vous en ébaucher un raccourci. Donc, ce que je désir vous représenter est une véritable histoire et vous le connaîtrez quand la scène se fermera. Nous la posons à Constantinople quoiqu’elle se passe autre part. Vous verrez un homme du tiers état, riche de deux enfants et de force quarts d’écus ; le fils restait à pourvoir ; il s’affectionne de son beau-frère ; il aime, il est aimé, mais son père s’oppose à l’achèvement mutuel de leurs desseins. Il entre en désespoir ; sa maîtresse, de même. Enfin, les voilà prêts, en se tuant, de clore cette oièce ; mais ce père dont le naturel est bon n’a pas la cruauté de souffrir, à ses yeux, une si tragique aventure : il prête son consentement aux volontés du Ciel et fait les cérémonies du mariages dont l’union secrète de ces deux cœurs avait déjà commencé le sacrement.

Granger.

Tu viens de rasseoir mon âme dans la chaire pacifique d’où l’avaient culbutée mille appréhensions cornues. Va paisiblement conférer avec tes acteurs ; je te déclare plénipotentiaire de ce traité comique. Toi, Paquier, je te fais le portier effroyable de l’introït de mes lares. Aie cure de les propugner de l’introït du fanfaron, du bourgeois et du page qui, sachant qu’on fait ici des jeux, ne manqueront pas d’y transporter leurs ignares personnes. Je te mets là des monstres en tête qu’il te faut combattre diversement. Tu verras diverses sortes de visages. Les uns t’aborderont froidement ; et, si tu les refuses, aussitôt glaive en l’air et forceront la porte avec brutalité : les moins de résistance que tu feras, c’est le meilleur. Il t’en conviendra voir d’autres, la barbe faite en garde de poignard, aux moustaches rubantées, au crin poudré, au manteau galonné qui, tout échauffés, se présenteront à toi ; si tu t’oppose à leur torrent, ils te traiteront de fat ; se formaliseront que tu ne les connais pas. Dès qu’ils t’auront arraisonné de la sorte, juge qu’ils ont trop bonne mine pour être bien méchants ; avale toutes leurs injures ; mais, si l main entreprend d’officier pour la langue, souviens-toi de la règle : mobile pro fixo. D’autres, pour s’introduire, demanderont à parler à quelque acteur pour affaire d’importance et qui ne se peut remettre ; d’autres auront quelque hardes à leur porter : à tous ceux-là, nescio vos. D’autres, comme les pages, environnés chacun d’un écolier, d’un courtaud et d’une putain viendront pour être admis ; reçois-les. Ce n’est pas que cette race de pygmées puisse de soi rien effectuer de terrible, mais elle irait conglober un torrent de canailles armées qui déborderait sur toi comme un essaim de guêpes sur une poire molle. Vale, mi care.

Scène VI

Paquier, seul

O ma foi ! c’est u étrange métier que celui de portier! Il lui faut autant de têtes qu’à celui des enfers pour ne point fléchir ; autant d’yeux qu’à Argus pour bien veiller ; autant de bouches qu’à la renommée pour parler à tout le monde ; autant de mains qu’a Briarée pour se défendre de tant de gens ; autant d’âmes qu’à l’Hydre pour réparer tant de vies qu’on lui ôte ; et, autant de pieds qu’à un cloporte pour fuir tant de coups.

Scène VII

Paquier, Châteaufort.

Paquier.

Voici mon coup d’essai. Courage ! j’en vais faire un chef-d’œuvre.

Châteaufort.

Bourgeois, ho ! holà, ho ! bourgeois. Vous autres malheureux, ne représentez-vous pas aujourd’hui céans quelques coyonneries et jolivetés ?

Paquier.

Salva pace, Monsieur, mon maître n’appelle pas cela comme cela.

Châteaufort.

Quelque momie, quelque fadaise ? Vite, vite ouvre-moi !

Paquier.

Je pense qu’il ne vous faut pas ouvrir car vous avez la barbe faite en garde de poignarde, vous ne m’avez pas abordé froidement ; vous n’avez pas dégainé, ni vous n’êtes pas page.

Châteaufort.

Ah ! vertubleu, poltron, dépêche-toi ; je ne suis ici que par curiosité.

Paquier.

Vous ne faites point du tout comme il faut.

Châteaufort.

Morbleu ! mon camarade, de grâce, laisse-moi passer !

Paquier.

Eh ! vous faites encore pis ; vraiment, il ne faut pas prier.

Châteaufort.

Savez-vous ce qu’il y a, petit godelureau ? je veux être fricassé comme Judas, si je me soucie, ni de vous, ni de votre collège ; car, après tout, j’ai encore une centaine de maisons, châteaux, s’entend dont la moindre… Mais je ne suis point discoureur. Ouvre-moi vite, si tu ne me veux obliger de croire qu’il n’entre céans que des coquins puisqu’on m’en refuse l’abord. Cap-de-biou, et que tu penses-tu que je sois ? un nigaud ?! Mardi, j’entends le jargon et le galimatias. Il est vrai que j’ai sur moi une mauvaise cape, mais, en récompense, je porte à mon côté une bonne tueuse qui fera venir sur le pré tout le plu résolu de la troupe.

Paquier.

Vous raisonnez là tout comme ceux qui de doivent point entrer.

Châteaufort.

De grâce, pauvre homme, que j’aille du moins dire à ton maître que je suis ici et qu’il me rende un mien goujat qui s’est enfui sans congé. (Il en viendra d’autres qui désireront parler à quelques acteurs pour affaire d’importance.)

Paquier.

Je ne sais plus comme il faut dire à ceux-là. Ah ! Monsieur, à propos, vous ne devez pas entrer.

Châteaufort.

Ventre ! je vous dis encore que je ne suis ici que par promenade. Penses-tu donc, veillaque qu’un gentilhomme de qualité.

Paquier.

Domine, Domine, accede celeriter. Vous ne m’avez point dit ce qu’il fallait répondre à ceux qui parlent de promenade.

Scène VIII

Gareau, Paquier. Câteaufort.

O parguene sfesmon, vela bian debuté. Et pensé-vous don que set parsenage comme les autres, à bâtons rompus ? Dame, nanain. C’est eun homme qui sçait peu et prou. Comment, oul dit d’or et s’oul n’a pas le bec jaune. C’est le garçon de cet homme qui en sçait tant. Vela le maître tout craché, vela tout tin dret son armanbrance.

Châteaufort.

J’aurais déjà fait un crible du ventre de ce coquin ; mais j’ai crainte de faillir contre les règles de la comédie, si j’ensanglantais la scène.

Gareau.

Vartigué, qu’ous êtes considerant ; ous avez mangé de la soupe à neuf heures.

Châteaufort.

J’enrage de servir ainsi de borne dans une rue !

Gareau.

O ma foi, ous estes bian délicat en barbes, ous n’aimez ny la rue ny la patiance.

Scènes IX

Granger, Gareau, Châteaufort, Paquier.

Granger.

Quels claimats sont allés habiter nos Rosciens ? l’antipode ou notre zénith ? Je vous décoche le bon jour, chevalier du grand revers, et vous, l’homme à l’héritage, salut et dilection !

Gareau.

Parguene, he sis venu nonobstant pour défrincher ma sussion encore eune petite escousse : excusez l’importunance, da ; car c’est la mainagere de mon onque qui ne feset que huyer environ moi, que je venis. Que velez-vous que je vous dise ? ol feset la guieblesse. « Ah ! vrament, se feset-elle à part soi, monsieur Granger, pis qu’il set tout c’est à ly à savoir ça. Va-t’en, va, Jean, il te dorra un consille là-dessus. » Dame, j’y sis venu.

Granger.

O mon cher ami ! par Apollon claire-face qui communique sa lumière aux choses les plus obscures ! ne nous veuille rejeter dedans le creux manoir de cette spelonque.

Gareau.

Parguene, monsieu, sacoutez don eun tantet et vous orez si je ne vous la boute pas aussi à clair qu’un cribe

Granger.

Ma parole est aussi tenable qu’un décret du destin.

Gareau.

Oh bian, comme dit Pilatre, quod scrisi, quod scrisi : n’importe, n’importe, ce nianmoins, tanquia qu’odon comme dit l’autre, vela eune petite douceur que nostre mère-grand vous envoye. (Il lui présente une fressure de veau pendue au bout d’un bâton.)

Granger.

Va, cher ami, je ne suis point jurisconsulte mercenaire.

Gareau.

Là, là, prenez trejours ; vaut mieux un tian que deux tu l’auras.

Granger.

Je te dis encore un coup que je te remercie.

Gareau.

Prenez, vous dis-je ! Vous ne sçavez pas qui vous prendra.

Granger.

Eh fi ! Champêtre hétérogène, prends-tu mes vêtements pour la marmite de ta maison ?

Gareau.

Oh, oh, tredinse, il ne sera pas dit que j’usions d’obliviance ; caot que je siomes petits, je ne somes pas vilains.

Granger.

Veux-tu donc mediffamer a capite ad calcem ?

Gareau.

Bonnefy, vous le prendrais. Je sais bian, comme dit l’autre, que je ne sis pas digne d’estre capable, mais stanpandant oul n’y a rian qui ressembe si bian à eun chat qu’eune chattte. Bonnefy, vous le prendrais da, car on me buiret ; et pis, vous en garderiais de la rancœur encontre moy.

Granger.

O vénérable confrère de Pan, des faunes, des sylvains, des satyres et des driades, cesse enfin, par un excès de bonne volonté, de diffamer mes ornements et je te permets, par rémuneration, de rester spectateur d’une invention théâtrale la plus hilarieuse du monde.

Châteaufort.

J’y entre aussi, et, pour récompense, je te permets, en cas d’alarme, de te mettre à couvert sous le bouclier impénétrable de mon terrible nom.

Granger.

J’en suis d’accord car que saurait refuser un mari le jour de ses noces ?

Paquier, à Châteaufort

Mais, monsieur, je voudrais bien savoir qui vous êtes, vous qui vouliez entrer ?

Châteaufort.

Je suis le fils du Tonnerre, le frère aîné de la Foudre, le cousin de l’Eclair, l’oncle du Tintamarre, le neveu de Caron, le gendre des Furies, le marie de la Parque, le ruffian de la Mort, le père, l’ancêtre et le bisaïeul des Eclaircissements.

Paquier.

Voyez si j’avais tort de lui refuser l’entrée ! Comment un si grand homme pourrait-il passer par une si petite porte ? Monsieur, on va souffre à condition que vous laisserez là vos parents ; car avec le bruit, le tonnerre et le tintamarre, on ne pourrait rien entendre.

Châteafort.

Garde-toi bien une autre fois de te méprendre. D’abord que quelqu’un viendra s’offrir, demande-lui son nom ; car, s’il s’appelle la Montagne, la Tour, la Roche, la Butte, Forte-Château, Châteaufort ou de quelque autre titre inébranlable, tu peux t’assurer que c’est moi.

Paquier.

Vous portez plusieurs noms, pour ce que vous avez plusieurs pères. (Ils entrent.)

Scène X

Corbineli, Granger, Châteaufort ,Paquier,

Gareau, La Tremblaye, Granger le jeune, Genevote, Manon.

Corbineli, à Granger.

Toutes choses sont prêtes ; faites seulement apporter un siège et vous y colloquez car vous avez à paraître pendant toute la pièce.

Paquier, à Chateaufort.

Pour vous, ô Seigneur de vaste étendue, plongez-vous dans celle-ci ; mais gardez d’ébouler sur la compagnie car nos reins ne sont pas à l’épreuve des pierres, des montagnes, des tours, des rochers, des buttes et des châteaux.

Granger.

Cà donc, que chacun s’habille. Eh quoi ! je ne vois point de préparatifs ! Où sont donc les masques des satyres ? les chapelets et les barbes d’ermites ? les trousses des cupidons ? les flambeaux poiraisins des furies ? Je ne vois rien de tout cela.

Genevote.

Notre action n’as pas besoin de toutes ces simagrées. Comme ce n’est pas une fiction, nous y mêlons rien de feint, nous ne changeons point d’habit ; cette place nous servira de théâtre et vous verrez toutefois que la comédie n’en sera pas moins divertissante.

Granger.

Je conduis la ficelle de mes désirs au niveau de votre volonté. Mais déjà le feu des gueux fait place à nos chandelles. Cà, qui de vous le premier estropiera le silence ?

Commencement de la Pièce

Genevote.

« Enfin, qu’est devenu mon serviteur ?

Granger le jeune.

« Il est si bien perdu qu’il ne souhaite pas de retrouver.

Genevote.

« Je n’ai point encore su le lieu ni le temps où commença votre passion.

Granger le jeune.

« Hélas ! ce fut aux Carmes, un jour que vous étiez au sermon. »

Granger le Père, interrompant.

Soleil, mon soleil qui tous les matins faites rougir de honte la céleste lanterne, ce fut au même lieu que vous donnâtes échec et mat à ma pauvre liberté. Vos yeux toutefois ne m’égorgèrent pas du premier coup ; mais cela provint de ce que je ne sentais que de loin l’influence porte-trait de votre rayonnant visage ; car ma rechignant destinée m’avait colloqué superficiellement à l’ourlet de la sphère de votre activité.

Corbineli.

Je pense, ma foi, que vous êtes bien fou de les interrompre : n voyez-vous pas bien que tout cela est de leur personnage ?

Granger le jeune.

« Toutes les espèces de votre beauté vinrent en gros assiéger ma raison ; « mais il ne me fut pas possible de haïr mes ennemis, après que je les eu « considéré. »

Granger le père, interrompant.

Allons, ma nymphelette, il est vergogneux eux filles de colloquiser diu et privation avec tant vert jouvenceau. Encore, si c’était avec moi ; ma barbe jure de ma sagesse, mais avec un petit cajoleur ! …

Corbineli.

Que diable ! laissez-le parler, si vous voulez ou bien nous donnerons votre rôle à quelqu’un qui s’en acquittera mieux que vous !

Genevote, à Granger le jeune.

« je m’étonne donc que vous ne travaillez plus courageusement aux « moyens de posséder une chose pour qui vous avez tant de passion.

Granger le jeune.

« Mademoiselle, tout ce qui dépend d’un bras plus fort que le mien, je le « souhaite et ne le promets pas. Mais, au moins suis-je assuré de vous « faire paraître mon amour par mon combat, si je ne puis vous témoigner « ma bonne fortune par ma victoire. Je me suis jeté aujourd’hui plusieurs « fois aux genoux de mon père le conjurant d’avoir pitié des maux que je « souffre : et, je m’en vais savoir de mon valet s’il lui a dit la résolution « que j’avais prise de lui désobéir car je l’en avais chargé. Viens çà, « Paquier ! As-tu dit à mon père que j’étais mal résolu, malgré son « commandement de passer outre ? »

Paquier.

Corbineli, souffle-moi !

Corbineli, tout bas.

« Non, monsieur, je ne m’en suis pas souvenu. »

Paquier.

« Ah !, maraud, ton sang me vengera de ta perfidie ! »

(Il tire l’épée sur lui.)

Corbineli.

Fuis-t’en donc de peur qu’il ne te frappe !

Paquier.

Cela est-il de mon rôle ?

Corbineli.

« Fuis-t’en donc de peur qu’il ne te frappe !

Granger.

« Je sais qu’à moins d’une couronne sur la tête, je ne saurais seconder « votre mérite.

Genevote.

« Les rois, pour être rois, ne cessent pas d’êtres hommes ; pensez-vous que… »

Granger le Père, interrompant.

En effet, les mêmes appétits qui agitent un ciron agitent un éléphant ; ce qui nous pousse à battre un support de marmite fait à u roi détruire une province ; l’ambition allume une querelle entre deux comédiens, la même ambition allume une guerre entre deux potentats. Ils veulent de même que nous, mais ils peuvent plus que nous …

Corbineli.

Ma foi, je vous enchaînerai !

Granger le jeune.

« on croira…

Genevote.

« suffise qu’on croie toutes choses à votre avantage. A quoi bon me faire « tant de protestations d’une amitié dont je ne doute pas ? Il vaudrait bien « mieux être pendu au cou de votre père et, à force de larmes et de « prières, arracher son consentement pour notre mariage.

Granger le jeune.

« Allons-y donc ! Monsieur, je viens vous conjurer d’avoir pitié de moi et…

Genevote.

« Et moi, vous témoigner l’envie que j’ai de vous faire bientôt grand-père… »

Comment ? grand-père ! Je veux bien tirer de vous une propagation de petits individus ; mais j’en veux être cause prochaine et non pas cause éloignée.

Corbineli.

Ne vous tairez-vous pas ?

Ganger.

Cœur bas et ravalé, n’as-tu point de honte de consumer l’avril de tous tes jours à cajoler une fille ?

Corbineli.

Ne voyez-vous pas que l’ordre de la pièce demande qu’ils disent tout cela ?

Granger.

« Ils n’ont pas assez de bien l’un pour l’autre ; je ne souffrirai jamais…

Genevote.

« Non, non, monsieur, je suis d’une condition qui vous défend « d’appréhender la pauvreté. Je souhaiterais seulement que vous eussiez « vu une terre que nous avons à huit lieues d’ici. La solitude agréable des « bois, le vert émaillé des prairies, le murmure des fontaines, l’harmonie « des oiseaux, tout cela repeindrait de noir votre poil déjà blanc.

Paquier.

« Mademoiselle, ne passez pas outre, voilà tout ce qu’il faut à Charlot. Il « ne saurait mourir de faim, s’il a des bois, des prés, des oiseaux et de « fontaines car les arbres lui serviront à se guérir du mal des mouches, les « prés lui fourniront de quoi paître et les oiseau prendront le soin de « chiffler quand il ira boire à la fontaine.

Granger.

« Ah ! sirénique larronnes des cœurs ! Je vois bien que vous guettez ma « raison au coin d’un bois que vous la voulez égorger sur le pré ou bien, « l’ayant submergée à la fontaine, la donner à manger aux oiseaux.

Granger le jeune.

« Je suis venu…

Paquier.

« J’au vu, j’ai vaincu ! dit César au retour des Gaules.

Granger le jeune.

« Vous conjurer…

Paquier.

« Dieu vous fasse bien, monsieur l’exorciste ! Mon maître n’est pas « démoniaque.

Granger le jeune.

« Par les services que je vous ai faits…

Paquier.

« Et par celui des morts qu’il voudrait bien vous avoir fait faire.

Granger le jeune.

« De reprendre la vie que vous m’avez prêtée.

Paquier.

« Il était bien fou de vous prêter une chose dont on n’a jamais assez !

Granger le jeune.

« Prenez ce poignard ! (Il tire un poignard.) Père dénaturé, faites deux homicides par un meurtre ; écrivez le destin de ma maîtresse avec mon sang et ne permettez pas que la moitié d’un si beau couple expire de… Mais à quoi bon tant de discours ? Frappez ! Qu’attendez-vous ? »

Corbineli.

Répondez donc, si vous voulez ! Qu’est-ce ? Etes-vous trépassé ?

Granger.

Ah ! que tu viens de m’arracher une belle pensée ! Je revois quelle est la plus belle figure, de l’antithèse ou de l’interrogation.

Corbineli.

Ce n’est pas cela la question.

Granger.

Et je ruminais encore à ces spéculateurs qui tant de fois ont fait faire à leurs rêveries le plongeon dans la mer pour découvrir l’origine de son flux et de son reflux, mais pas un à mon goût n’a frappé dans la visière. Ces raisons salées me semblent si fades que je conclu qu’infailliblement…

Corbineli.

Ce n’est pas de ces matières-là, vous dit-on, dont il est question. Nous parlons de marier mademoiselle et votre fils et vous nous embarquez sur la me !

Granger.

Quoi ! parlez-vous de mariage avec le hobereau ? Etes-vous orbe de la faculté intellectuelle ? Etes-vous hétéroclite d’entendement ou le microcosme parfait d’une continuité de chimères abstractives ?

Granger.

Comment, marier ? C’est une comédie ?

Corbineli.

Eh bien, ne savez-vous pas que la conclusion d’un poème comique est toujours un mariage ?

Granger.

Oui ; mais comment serait-ce ici la fin ? Il n’y a pas encore un acte de fait.

Corbineli.

Nous avons uni tous les cinq en un, de peur de confusion : cela s’appelle pièce à la polonaise.

Granger.

Ah ! bon.. « Comme cela, je te permets de prendre mademoiselle pour « légitime épouse.

Genevote.

« Vous plait-il de signer les articles ? Voilà le notaire tout prêt.

Granger.

« Sic ita sane, très volontiers. » (Il signe.)

Paquier.

J’enrage d’être muet car je l’avertirais.

Fin de la Comédie

Corbineli.

Tu peux parler maintenant : il n’y a plus de danger.

Granger.

Eh bien, mademoiselle, que dites vous de notre comédie ?

Genevote.

Elle est belle ; mais apprenez qu’elle est de celles qui durent autant que la vie. Nous vous en avons tantôt fait le récit comme d’une histoire arrivée, mais elle devait arriver. Au reste, vous n’avez pas sujet de vous plaindre car vous nous avez mariés vous-mêmes, vous-même, vous avez signez les articles du contrat. Accusez-vous seulement d’avoir enseigné le premier à fourber : vous fîtes accroire aux parents de votre fils qu’il était fou quand vous vîtes qu’il ne voulait point entendre au voyage de Venise ; cette insigne fausseté lui montra le chemin de celle-ci ; il crut qu’il ne pouvait faillir en imitant un si bon père.

Corbineli.

Enfin, c’est une pilule qu’il faut avaler.

La Tremlaye.

Vous l’avalerez ou par la mort…

Gareu.

Ah ! par ma fy, je sommes logés à l’ensaigne de J’en tenons. Parmanda, j’en avoüas queuque souleur que cette petite ravodière-là l’y grimoneret queuque trogédie. Eh bian, ne vela pas notre putain de mainagère toute revenue ? Feüe la pauvre défunte devant Guieu set son âme da ! m’en baillit eun jour d’eune belle vredée. Par ma fiquette ! ol me boutit à Cornüaille en tout bian et tout honneur. Stapandant la bonne chienne qu’ol estet.. Aga, eh ! ous estes don de ces saintes sucrées-là ? Bonnefy, je le voyas bian qu’ous aviais e nez torné à la friandise. Or, un jour qu’il plut tant : « Jacquelaine, ce l’y fera demain clair de l’autre. » Enfin, tanquia, qu’odon ce nonobstant après çà, ô dame, éclaircissez-moi à dire : tanquia que je m’en revenis tout épouvanté tintamarrer à nostre huis. A la parfin, je me couchis tout fin nu auprès de nostre bonne femme. Un tantet après que je me fusis rabougri tout en un petit tapon, je sentis queque chose qui groüillet. « Jacquelaine, ce l’y fis-je, je pense qu’il y queuqu’un couché. – Oüi, ce me fit-elle, je t’en réponds et que guiantre y auret-il ? » Eune bonne escousse après, je sacoute encore frétiller : « Han, Jacquelaine, il y a queuqu’un. » J’allongis ma main, je tâtis. « Hoüay ! ce tis-je, eune tête, deux têtes ! » Pis, frougonant entre les draps : « Deux jambes, quatre jambes : han ! Jacquelaine, il y a là queuqu’un. - Eh ! Piarre que tu es fou, ce me fit-elle, tu contes mes jambes deux foüas ! » Parguene, je ne me contentis point, je me levis ; dame ! je découvris le pot aux roses. « Oh ! oh ! vilaine, ce ly fis-je, qu’est-ce que ça ? Fili Davi ! Ton ribaud sera étripé ! – Vrament, Jean, ce me fit-elle, garde-t’en bian ; c’est ce pauvre maître Louis, le barbier, qui venet de saigner eun malade de tout là-bas ; il estet tout rede de fret et avet encore bian du vilain chemin à passer. Il m’exhorsisait d’allumer du feu ; dame ! comme tu saus, le bois est char ; je lui ai dit qu’il se venît plutôt réchauffer environ moi : il ne feset que de s’y bouter quand tu es venu. – Allons, alons, ce ly fis-je, maître Louis, on vous aprana de venir coucher avec les femmes des gens. » Dame ! je ne fus ni fou, ni étourdi : je le claquis bel et biau et le portis sur mes épaules jusqu’à moiquié chemin de sa mairon : « Mais n’y revenez pas eune autre foüas ! Car, parguene, s’il vous arrive, je vous portirai encore eune escousse aussi loin. » Eh bian, regardez, il ne faut qu’un malheur. Cette petite décargondée m’en eût peut-être fait autant : c’est pourquoi bon jour et bon soir, c’est pour deux foüas.

Corbineli.

C’est maintenant à vous, monsieur, pour combler la félicité de ces nouveaux mariés d’augmenter leur revenu de celui d’un empire. Il vous sera bien aisé puisque vous faites chanceler la couronne d’un monarque en le regardant.

Châteaufort.

Je donne assez quand je n’ôte rien et je leur ai fait beaucoup de bien de ne leur avoir point fait de mal.

Granger le jeune.

Mon petit cœur, il est fort tard : allons nous mettre au lit.

Paquier.

Je n’ai donc plus qu’à faire venir le sage-femme car vous allez entrer en travail d’enfant.

La Tremblaye.

Je n’oserai quasi prendre la hardiesse de vous consoler.

Granger.

N’en prenez pas la peine, je me consolerai bien moi-même. O Tempora ! O Mores !

Fin du Pédant Joué

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