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La Mort d'Agrippine

Acte V.

Scène première.

Tibère, Livilla, Furnie.

Tibère.

Un homme qu’en dormant la fortune éleva.

Livilla.

Que de l’obscurité ton amitié sauva.

Tibère.

Sejanus, dont la tête, unie à ma personne,

Emplissait avec moi le rond de ma couronne,

En vouloir à mes jours ? Il en mourra l’ingrat ;

Livilla.

Par sa punition, assure ton état.

Tibère.

Je veux qu’en son trépas la Parque s’étudie,

A prolonger sa peine au delà de sa vie :

Qu’il meure et qu’un sanglot ne lui soit point permis,

Qu’il arrête les yeux de tous ses ennemis,

Et qu’il soit trop peu d’un pour la douleur entière,

Dont il doit servir seul d’espace et de matière.

Livilla.

A quelque extrémité qu’il aille son châtiment,

Tu venges d’un traître encor trop doucement :

Mais ! Seigneur, sans péril le pourras-tu détruire,

Et n’est-il plus, le lâche, en état de nuire.

Tibère.

Il est pris le superbe, on instruit son procès,

Et je le vois trembler de son dernier accès ;

Aussitôt que ta bouche à l’état secourable,

M’eut découvert l’auteur de ce crime exécrable,

Pour l’éloigner des siens avec moins d’éclat,

J’ai fait dans mon palais assembler le Sénat ;

Mais c’est avec dessein d’attirer ce perfide,

Et pouvoir en ses yeux lire son parricide.

Les convoqués sont gens à ma dévotion :

Le consul est instruit de mon intention :

On fait garde partout, et partout sous les armes

Les soldat tient la ville, et le peuple en alarmes :

Cependant au palais le coupable arrêté,

Et du rang de tribun par ma bouche flatté,

Vient d’entrer au Sénat pour sortir au supplice ;

Il n’a plus d’autres lieux à voir qu’un précipice.

Livilla.

Seigneur, et d’Agrippine en a-t-on résolu ?

Tu dois l’exterminer de pouvoir absolu :

Cet esprit insolent d’un trop heureux mensonge,

Croit t’avoir sur son crime endormir par un songe.

Tibère.

Ce songe fabuleux ne m’a point endormi,

Au dessein de la perdre, il m’a plus affermi :

De l’attentat qui trouble une âme embarrassée,

La parole est toujours auprès de la pensée,

Et le cœur agité par quelque grand dessein,

Ebranle malgré soi la bouche avec le sein.

Non, ma fille, elle court à son heure dernière,

Et sans qu’elle le sache, on la tient prisonnière :

J’ai corrompu ses gens, dont l’escorte sans foi

La garde jour et nuit non de moi, mais pour moi ;

Et ses plus confidents que mon épargne arrête,

A mes pieds si je veux apporteront sa tête :

Mais je la flatte afin que son arrêt fatal,

Quand il la surprendra lui fasse plus de mal.

Scène II

Nerva, Tibère, Livilla.

Nerva.

Seigneur, il est jugé ; quand on a lu ta lettre,

Sans que pour lui personne aie osé s’entremettre,

Comme si son malheur était contagieux,

Chacun de son visage a détourné les yeux ;

Ce puissant Sejanus, si grand, si craint naguère,

Cette divinité du noble et du vulgaire,

A qui le peuple au temple appendait des tableaux,

A qui l’on décernait des triomphes nouveaux,

Qu’on regardait au trône avec idolâtrie,

Nommé par le Sénat, Père de la Patrie,

Dans un corps où pour tel chacun l’avait tenu,

N’a point trouvé d’enfants qui l’aient reconnu ;

Ils l’ont condamné tous d’une voix unanime,

Au supplice du roc pour expier son crime :

Ce coupable est déjà dans la cour descendu,

Où par l’exécuteur ton ordre est attendu.

Livilla.

César au nom des Dieux, commande qu’on l’amène,

Il importe à ta vie, il importe à ma haine,

Qu’autant le coup fatal nous puissions nous parler ;

Car j’ai d’autres secrets encor à révéler.

Tibère.

Fais qu’il monte, Nerva.

Scène III.

Tibère, Livilla.

Livilla.

Cette haute indulgence

Me surprend et m’oblige à la reconnaissance ;

Afin donc que Cèsar demeure satisfait,

Et que ma courtoisie égale son bienfait,

Je lui veux découvrir le plus grand des complices.

Tibère.

Par son nom, Livilla, couronne tes services.

Livilla.

Ouvre les yeux sur moi tyran, c’est Livilla ;

Tibère.

La fureur de ma bru passerait jusque là ?

Livilla.

Appelles-tu fureur un acte de justice ?

Tibère.

Donc de mon assassin, ma fille est la complice ?

Livilla.

Non, je ne la suis pas, Tibère, il est le mien ;

J’ai formé l’attentat, mais le malheur est sien,

Du massacre d’un monstre il sort assez d’estime,

Pour disputer l’honneur d’en avoir fait le crime :

Oui, ce fut moi, tyran, qui l’armai contre toi.

Tibère.

La femme de mon fils conspirer contre moi ?

Livilla.

Mois femme de ton fils, moi fille de ton frère,

J’allais te poignarder, toi mon oncle et père,

Par cent crimes, en un me donner le renom

De commettre un forfait qui n’eut point eu de nom ;

Moi ta nièce, ta bru, ta cousine, ta fille,

Moi qu’attachent par tout les nœuds de ta famille,

Je menais en triomphe à ce coups inhumain,

Chacun de tes parents t’égorger par ma main ;

Je voulais profaner du coup de ma vengeance

Tous les degrés du sang, et ceux de l’alliance,

Violer dans ton sein la nature et la loi :

Moi seule révolter tout ton sang contre toi ;

Et montrer qu’un tyran dans sa propre famille,

Peut trouver un bourreau, quoiqu’il n’ait qu’une fille,

J’ai tué mon époux ; mais j’eusse encor fait pis,

Afin de n’être plus la femme de ton fils.

Car j’avais dans ma couche à ton fils donné place,

Pour être en mes enfants maîtresse de ta race,

Et pouvoir à mon gré répandre tout ton sang,

Lors qu’il serait contraint de passer par mon flanc :

Si je t’ai découvert la révolte secrète,

Dont ce couple maudit complotait ta défaite ;

C’est que mon cœur jaloux de leurs contentements,

N’a peu que par le fer désunir ces amants ;

Et dans mon désespoir si je m’accuse encore,

C’est pour suivre au tombeau, Sejanus que j’adore ;

Ose donc, ose donc quelque chose grand,

Je brûle de mourir par les mains d’un tyran.

Tibère.

Oui, tu mourras, perfide ; Et quoique je t’immole,

Pour punir ta fureur, je te tiendrai parole ;

Tu verras son supplice, il accroîtra ton deuil,

Tes regards étonnés le suivront au cercueil :

Il faut que par tes yeux son désastre te tue,

Et que toute sa mort se loge dans ta vue :

Observez-la, soldats, faites garde en ces lieux ;

Et pendant les transports de leurs tristes adieux,

Qu’on la traîne à la mort, afin que sa tendresse

Ne pouvant s’assouvir, augmente sa tristesse.

Scène IV.

Livilla, Furnie.

Livilla.

Hé ! bien, Furnie ; hé ! bien ? le voilà ce grand jour,

Dont la lumière éteinte éteindra mon amour :

Mais elle m’abandonne et n’oserait m’étendre

Déjà de mon destin chacun se veut dépendre,

Et comme si des morts j’avais subi la loi,

Les vivants ont horreur de s’approcher de moi.

Scène V.

Livilla, Sejanus, Nerva.

Livilla.

Enfin sur le penchant de ta proche ruine,

Ni l’amour de César, ni l’amour d’Agrippine,

Ni pour tes intérêts tout le peuple assemblé,

Ni l’effort du parti dont notre aigle a tremblé,

Ne peuvent racheter ni garantir ta tête

Du tonnerre grondant que ma vengeance apprête :

Ton trépas est juré, Livilla l’entreprend,

Et la main d’une femme a fait un coup si grand.

Sejanus.

Nous devant assembler sous la loi d’hyménée,

Me pouvais-je promettre une autre destinée ?

Vous êtes trop savante à perdre vos époux,

On se joint à la mort, quand se joint à vous.

Livilla.

Ton amour m’enseigne ce crime abominable,

Peut-on être innocent lors qu’on aime un coupable ;

J’eus recours aux forfaits pour t’attacher à moi,

Tu n’épouseras point Livilla malgré toi ;

Mais Agrippine aussi ne sera point ta femme,

Ne pouvant étouffer cette ardeur qui t’enflamme

Sans t’arracher la vie, où loge ton amour

J’ai mieux aimé barbare en te privant du jour,

Précipiter le col de mon heure fatale,

Que de te voir heureux aux bras de ma rivale.

Sejanus.

La mort, dont vous pensez croître mon désespoir,

Délivrera mes yeux de l’horreur de vous voir :

Nous serons, est-ce un mal dont je tremble ?

Livilla.

Tu te trompes encor, nous partirons ensemble :

La parque au lieu de rompre allongera nos fers ;

Je t’accompagnerai jusque dans les enfers :

C’est dans cette demeure à la pitié cachée,

Que mon ombre sans cesse à ton ombre attachée,

De son vol éternel fatiguera tes yeux,

Et se rencontrera pour ta peine en tous lieux,

Nous partirons ensemble, et d’une égale course

Mon sang avec le tien ne fera qu’une source,

Dont les ruisseaux de feu par un reflux commun

Pêle-mêle assemblés et confondus en un,

Se joindront chez les morts d’une ardeur si commune,

Que la parque y prendra nos deux âmes pour une,

Mais Agrippine vient, ses redoutables yeux
Ainsi que de ton cœur me chassent de ces lieux.

Scène VI.

Agrippine, Sejanus, Nerva.

Agrippine.

Demeure, Sejanus, on te l’ordonne, arrête :

Je te viens annoncer qu’il faut perdre la tête ;

Rome en foule déjà court au lieu de la mort.

Sejanus.

D’un courage au dessus des injures du sort,

Je tiens qu’il est si beau de choir pour votre cause,

Qu’un si noble malheur borne tout ce que j’ose ;

Et déjà mes travaux sont trop bien reconnus,

S’il est vrai qu’Agrippine ait pleuré Sejanus.

Agrippine.

Mois pleurer Sejanus ? Moi te pleurer perfide ?

Je verrai d’un œil sec la mort d’un parricide :

Je voulais, Sejanus, quand tu t’offris à moi,

T’égorger par Tibère, ou Tibère par toi,

Et feignant tous les jours de t’engager mon âme,

Tous les jours en secret je dévidais ta trame.

Sejanus.

Il est d’un grand courage et d’un cœur généreux,

De ne point insulter au sort d’un malheureux :

Mais j’en sais le motif ; pour effacer la trace

Des soupçons qui pourraient vous joindre à ma disgrâce,

Vous bravez mes malheurs encor qu’avec regret,

Afin de vous purger d’être de mon secret :

Madame, ce n’est pas connaître mon génie :

Car j’aurais fort bien su mourir sans compagnie.

Agrippine.

Ne t’imagines pas que par un feint discours,

Je tache vainement à prolonger mes jours ;

Car puisqu’à l’empereur ta trame est découverte,

Il a su mon complot et résolu ma perte :

Aussi j’en soutiendrai le coup sans reculer,

Mais je veux de ta mort pleinement me soûler,

Et goûter à longs traits l’orgueilleuse malice,

D’avoir par ma présence augmenté ton supplice.

Sejanus.

De ma mortalité je suis fort convaincu ;

Hé ! bien, je dois mourir, parce que j’ai vécu :

Agrippine.

Mais as-tu de la mort, contemplé le visage,

Conçois tu bien l’horreur de cet affreux passage ;

Connais-tu le désordre où tombent leurs accords,

Quand l’âme se dépend des attaches du corps ?

L’image du tombeau qui nous tient compagnie,

Qui trouble de nos sens la paisible harmonie,

Et ces derniers sanglots dont avec tant de bruit

La nature épouvante une âme qui s’enfuit ?

Voilà de ton destin le terme épouvantable.

Sejanus.

Puis qu’il en est le terme il n’a rien d’effroyable,

La mort rend insensible à ses propres horreurs ;

Agrippine.

Mais une mort honteuse étonne les grands cœurs.

Sejanus.

Mais la mort nous guérit de ces vaines chimères ;

Agrippine.

Mais ta mort pour le moins passera les vulgaires :

Ecoute les malheurs de ton dernier soleil :

Car je sais de ta fin le terrible appareil

De joie et de fureur la populace émue,

Va pour aigrir tes maux, en repaître sa vue.

Tu vas sentir chez toi la chez la mort s’insinuer,

Partout où la douleur se peut distribuer :

Tu vas voir les enfants te demander leurs pères ;

Les femmes leurs maris, et les frères leurs frères ;

Qui pour se consoler en foule s’étouffants,

Iront voir à leur rage immoler tes enfants :

Ton fils tin héritier à la haine de Rome,

Va tomber, quoique enfant, du supplice d’un homme,

Et te perçant du coup qui percera son flanc,

Il éteindra ta race et ton nom dans son sang :

Ta fille devant toi par le bourreau forcée,

Des plus abandonnés blessera la pensée,

Et de ton dernier coup la nature en suspens

Promènera ta mort en chacun de tes sens :

D’un si triste spectacle es-tu donc à l’épreuve ?

Sejanus.

Cela n’est que la mort, et n’a rien qui m’émeuve.

Agrippine.

Et cette incertitude où mène le trépas ?

Sejanus.

Etais-je malheureux, lorsque je n’étais pas ?

Une heure après la mort notre âme évanouie,

Sera ce qu’elle était une heure avant la vie :

Agrippine.

Mais il faut, t’annonçant ce que tu vas souffrir,

Que tu meure cent fois avant que de mourir.

Sejanus.

J’ai beau plonger mon âme et mes regards funèbres

Dans ce vaste néant et ces longues ténèbres,

J’y rencontre partout un état sans douleur,

Qui n’élève à mon front ni trouble ni terreur ;

Car puisque l’on ne reste après ce grand passage,

Que le songe léger d’une légère image ;

Et que le coup fatal ne fait ni mal ni bien

Vivant, parce qu’on est, mort, parce qu’on est rien :

Pourquoi perdre à regret la lumière reçue,

Qu’on ne peut regretter après qu’elle est perdue ;

Pensez vous m’étonner par ce faible moyen,

Par l’horreur du tableau d’un être qui n’est rien,

Non quand ma mort au Ciel luirait dans un comète,

Elle me trouvera dans une ferme assiette,

Sur celle des Catons je m’en vais enchérir,

Et si vous en doutez venez me voir mourir.

Marchez gardes !

Agrippine.

Marchez ! je te rends grâce, ô Rome,

D’avoir d’un si grand cœur partagé ce grand homme ;

Car je suis sure, au moins, d’avoir vengé le sort

Du grand Germanicus, par une grand mort.

Du grand Germanicus, par une grand mort.

Scène VI.

Agrippine, Sejanus, Nerva.

Agrippine.

Demeure, Sejanus, on te l’ordonne, arrête :

Je te viens annoncer qu’il faut perdre la tête ;

Rome en foule déjà court au lieu de la mort.

Sejanus.

D’un courage au dessus des injures du sort,

Je tiens qu’il est si beau de choir pour votre cause,

Qu’un si noble malheur borne tout ce que j’ose ;

Et déjà mes travaux sont trop bien reconnus,

S’il est vrai qu’Agrippine ait pleuré Sejanus.

Agrippine.

Mois pleurer Sejanus ? Moi te pleurer perfide ?

Je verrai d’un œil sec la mort d’un parricide :

Je voulais, Sejanus, quand tu t’offris à moi,

T’égorger par Tibère, ou Tibère par toi,

Et feignant tous les jours de t’engager mon âme,

Tous les jours en secret je dévidais ta trame.

Sejanus.

Il est d’un grand courage et d’un cœur généreux,

De ne point insulter au sort d’un malheureux :

Mais j’en sais le motif ; pour effacer la trace

Des soupçons qui pourraient vous joindre à ma disgrâce,

Vous bravez mes malheurs encor qu’avec regret,

Afin de vous purger d’être de mon secret :

Madame, ce n’est pas connaître mon génie :

Car j’aurais fort bien su mourir sans compagnie.

Agrippine.

Ne t’imagines pas que par un feint discours,

Je tache vainement à prolonger mes jours ;

Car puisqu’à l’empereur ta trame est découverte,

Il a su mon complot et résolu ma perte :

Aussi j’en soutiendrai le coup sans reculer,

Mais je veux de ta mort pleinement me soûler,

Et goûter à longs traits l’orgueilleuse malice,

D’avoir par ma présence augmenté ton supplice.

Sejanus.

De ma mortalité je suis fort convaincu ;

Hé ! bien, je dois mourir, parce que j’ai vécu :

Agrippine.

Mais as-tu de la mort, contemplé le visage,

Conçois tu bien l’horreur de cet affreux passage ;

Connais-tu le désordre où tombent leurs accords,

Quand l’âme se dépend des attaches du corps ?

L’image du tombeau qui nous tient compagnie,

Qui trouble de nos sens la paisible harmonie,

Et ces derniers sanglots dont avec tant de bruit

La nature épouvante une âme qui s’enfuit ?

Voilà de ton destin le terme épouvantable.

Sejanus.

Puis qu’il en est le terme il n’a rien d’effroyable,

La mort rend insensible à ses propres horreurs ;

Agrippine.

Mais une mort honteuse étonne les grands cœurs.

Sejanus.

Mais la mort nous guérit de ces vaines chimères ;

Agrippine.

Mais ta mort pour le moins passera les vulgaires :

Ecoute les malheurs de ton dernier soleil :

Car je sais de ta fin le terrible appareil

De joie et de fureur la populace émue,

Va pour aigrir tes maux, en repaître sa vue.

Tu vas sentir chez toi la chez la mort s’insinuer,

Partout où la douleur se peut distribuer :

Tu vas voir les enfants te demander leurs pères ;

Les femmes leurs maris, et les frères leurs frères ;

Qui pour se consoler en foule s’étouffants,

Iront voir à leur rage immoler tes enfants :

Ton fils tin héritier à la haine de Rome,

Va tomber, quoique enfant, du supplice d’un homme,

Et te perçant du coup qui percera son flanc,

Il éteindra ta race et ton nom dans son sang :

Ta fille devant toi par le bourreau forcée,

Des plus abandonnés blessera la pensée,

Et de ton dernier coup la nature en suspens

Promènera ta mort en chacun de tes sens :

D’un si triste spectacle es-tu donc à l’épreuve ?

Sejanus.

Cela n’est que la mort, et n’a rien qui m’émeuve.

Agrippine.

Et cette incertitude où mène le trépas ?

Sejanus.

Etais-je malheureux, lorsque je n’étais pas ?

Une heure après la mort notre âme évanouie,

Sera ce qu’elle était une heure avant la vie :

Agrippine.

Mais il faut, t’annonçant ce que tu vas souffrir,

Que tu meure cent fois avant que de mourir.

Sejanus.

J’ai beau plonger mon âme et mes regards funèbres

Dans ce vaste néant et ces longues ténèbres,

J’y rencontre partout un état sans douleur,

Qui n’élève à mon front ni trouble ni terreur ;

Car puisque l’on ne reste après ce grand passage,

Que le songe léger d’une légère image ;

Et que le coup fatal ne fait ni mal ni bien

Vivant, parce qu’on est, mort, parce qu’on est rien :

Pourquoi perdre à regret la lumière reçue,

Qu’on ne peut regretter après qu’elle est perdue ;

Pensez vous m’étonner par ce faible moyen,

Par l’horreur du tableau d’un être qui n’est rien,

Non quand ma mort au Ciel luirait dans un comète,

Elle me trouvera dans une ferme assiette,

Sur celle des Catons je m’en vais enchérir,

Et si vous en doutez venez me voir mourir.

Marchez gardes !

Agrippine.

Marchez ! je te rends grâce, ô Rome,

D’avoir d’un si grand cœur partagé ce grand homme ;

Car je suis sure, au moins, d’avoir vengé le sort

Du grand Germanicus, par une grand mort.

© André & Frank Hagemann - Villa-Anemone.fr 2012