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Sonnets

Sonnet.

Je commence à vous méconnaître,

Vous me fuyez, ingrate, hé quoi !

Votre cœur si tendre pour moi,

Pourrait-il bien ne les plus être ?

Je crains bien que ce petit traître,

Ne m’ait déjà manqué de foi ;

On le croit souvent tout à soi,

Qu’on n’en est pas toujours le maître :

Le changement vous est si doux,

Que quand on est bien avec vous,

On n’ose s’en donner la gloire.

Celui qui peut vous arrêter,

A si peu de temps pour le croire ;

Qu’il n’en a pas pour s’en vanter.

Sonnet.

Il ne faut point tant de mystère,

Rompons, Iris, j’en suis d’accord,

Je vous aimais, vous m’aimez fort.

Cela n’est plus, sortons d’affaire.

Un vieil amour ne saurait plaire,

On voudrait déjà qu’il fût mort :

Quand il languit ou qu’il s’endort.

Il est permis de s’en défaire.

Ce n’est plus que dans les romans,

Qu’on voit de fidèles amants,

L’inconstance est plus usage.

Si je vous quitte le dernier,

N’en tirez pas grand avantage,

Je suis dégoûté le premier.

Sonnet.

Quand à mon âge je soupire,

Le cœur percé de mille coups,

L’un me plaint et l’autre m’admire,

D’avoir des sentiments si doux.

S’il m’était permis de leur dire,

Que je ne souffre que pour vous,

Loin de condamner mon martyre,

Sans doute ils en seraient jaloux.

Je sais bien que les destinées,

Ont mal compassé nos années ;

Ne regardez que mon amour.

Peut-être en serez vous émue,

Il est jeune et n’est que du jour,

Belle Iris, que je vous ai vu.

Sonnet.

Iris, quel subit changement ?

Je vous aimais sans déplaire,

Et par l’ordre de votre mère,

Vous écoutés un autre amant.

Donnerez-vous votre agrément,

En faveur de ce téméraire ;

Ce que mon amour n’a pu faire,

L’obtiendra t’il du sacrement ?

Mais quand vous y serez forcée,

Souffrez que mon âme offensée,

Se venge au moins de cet époux.

Que son bonheur lui soit funeste,

J’en serai peut-être un jaloux,

Vous pourriez bien faire le reste.

Sonnet.

Belle Iris, je suis aux abois.

Hélas ! qu’êtes-vous devenues ?

Je vous aime autant que je dois,

Et votre absence continue.

Sans m’avoir écrit une fois,

Depuis que je ne vous au vu,

Vous avez passés plus d’un mois,

Demandez vous ce qui me tue ?

Plein de langueur je vous attends,

Pouvez-vous souffrir plus longtemps ;

Qu’en ce triste était je demeure ?

Que mes rivaux seront heureux,

Si vous tardez encore une heure,

Vous ne reviendrez que pour eux.

Sonnet.

Quittez cette dévote humeur,

Ne faites pas tant la mauvaise ;

Car je prétends, ne vous déplaise,

Une place dans votre cœur.

A soixante ans un directeur,

Prêche les gens bien à son aise,

Vous n’en avez quinze ou seize,

Trop tôt le diable vous fait peur.

Me défendre que je vous aime,

C’est vous faire tort à vous-même,

Malgré vous, je vous aimerai.

Rarement la jeunesse est sage,

Quand vous serez un peu sur l’âge ;

Alors, je vous obéirai.

Sonnet.

Sur la Pucelle de M. Chapelain.

Sonnet.

Je vous dirai sincèrement

Mon sentiment de la pucelle,

L’art et la grâce naturelle

S’y rencontrent également.

Elle s’explique fortement,

Ne dit jamais de bagatelle ;

Et sa conduite paraît telle,

Qu’on la peut louer hautement.

Elle est superbe et bien parée,

Sa beauté sera de durée,

Son éclat nous peut éblouir.

Mais enfin bien qu’elle soit belle

L’on ira rarement chez elle,

Quand on voudra se réjouir.

Sonnet.

Sans ressource à ce coup le malheur me terrasse,

Je vois bien, mais trop tard que le Ciel m’est fatal,

Je ne puis résister à mon destin brutal ;

Chers amis s’en est fait, il faut quitter la place.

Au moins souvenez-vous que j’ai frayé la trace

Par où les gens de biens s’en vont à l’hôpital

Celui qui dépend bien et n’emprunte pas mal,

Ne doit point s’affliger de porter la besace.

Je ne suis plus nourri que par mes créanciers

Qui tâchent pour tirer payement de mes deniers,

De me faire survivre à tous ceux dont j’hérite.

Que mes jours sont suivis d’une bizarre fin,

Les dettes me font vieux et quand je serai quitte,

Je prévoie qu’il faudra que je meure de faim.

A Madame la Marquise de ***

Sonnet.

Changés l’air de votre entretien,

Ou permettez que je vous quitte ;

La fade complaisance irrite,

Sourire à tout n’oblige en rien.

Egalement dire du bien

D’une chose bien ou mal dite,

Pour établir votre mérite,

Me paraît un faible moyen.

C’est toutefois votre méthode,

Il n’est rien de plus incommode

Qu’une louange à contre-temps.

J’aime beaucoup mieux qu’on me fronde ;

Qui tâche à plaire à tout le monde

Ne plaît guère aux honnêtes gens.

Sonnet.

Soupir impatient que prétendez-vous faire,

Vous m’irez déceler quand vous serez parti,

Iris pourras s’en plaindre, arrêtez, téméraire,

Au moins ne dites pas que je l’ai consenti.

Vous pensez l’attendrir, vous serez le contraire,

Son orgueil jusqu’ici ne s’est point démenti ;

Mais non, faites du bruit, si je vous ai fait faire

Soupir déjà cent fois je m’en suis repenti.

Sous le nom d’amitié vous osâtes paraître

Etes-vous moins hardi quand l’amour vous fait naître,

Il s’explique par vous, faites-vous écouter.

Qui ne perd le respect qu’à force de tendresse,

Gagne plus qu’il ne perd auprès d’une maîtresse.

Parlez, hasardez tout, il est temps d’éclater.

Sonnet.

Amour, vis-tu jamais un si parfait ouvrage ;

Que ces beaux yeux sont doux, que leurs traits sont perçants !

Et, qu’il est malaisé d’empêcher que mes sens

Ne soumettent mon âme aux lois de son servage !

Jamais une Beauté ne piqua davantage ;

Elle me plaît en tout et ses charmes puissants

Sont plus à redouter qu’ils semblent innocents ;

Et, moins elle y consent et plus elle m’engage.

Sa grâce et son esprit ensemble également

Partagent le pouvoir d’acquérir un amant,

Ses rares qualités la rendent sans seconde.

Et, pour dire qu’elle est cette merveille et amour,

Elle porte le nom du plus grand Roi du monde,

Joint à celui qu’au Ciel il aura quelque jour.

La fortune qui me maltraite,

Ne bornera jamais son cours,

Les araignées tous les jours

Font leur toile dans ma pochette.

Ma garde-robe est tantôt nette.

Je n’ai plus d’hait de velours,

Mes chevaux ressemblent des Ours,

Mon carrosse devient charrette.

Mes laquais tirent à la fin,

Et, ce qui restait de mon train

A pris congé pour récompense.

Et, n’était ceux à qui je dois

On ne verrait point d’homme en France

Qui fût moins visité que moi.

Sonnet.

N’écoutez qu’une passion ;

Deux ensemble, c’est raillerie,

Souffrez moins la galanterie,

Ou quittez la dévotion.

Par tant de contradiction

Votre conduite se décrie

Avec moins de bizarrerie ;

Suivez votre inclination.

Tout le monde se met en peine

De vous voir toujours incertaine,

Sans savoir à quoi vous borner.

Vous finirez comme une sotte,

Vous ne serez jamais dévote,

Vous ne pourrez jamais aimer.

Sonnet.

Je ne me plaindrai point, aimable Célimène ;

Que vous m’ayez donné de trop sévères lois ;

Je cours aveuglement à ma perte certaine,

Ma passion le veut, je fais ce que je dois.

Puisque j’ai consenti que mon âme trop vaine

Se portât hardiment à faire un si beau choix,

Je souffre constamment, trop heureux dans ma peine,

Si j’osais devant vous soupirer quelquefois.

On donne aux immortels le cœur et la pensée,

De ces mêmes présents vous êtes offensée,

Rien ne peut à mes maux vous compatir.

Quoi que vous défendiez la plainte et l’espérance,

Il est si glorieux d’être votre martyr

Que de mourir pour vous tient lieu de récompense.

Sonnet.

Iris, je vous aime, on le sait,

Votre rigueur continuelle

Me force peu d’être discret,

Je me suis plaint, plaignez vous d’elle.

Ne blâmez point ce que j’ai fait ;

D’une amour si pure et si belle

On peut découvrir le secret,

Sans vous faire voir criminelle.

Cependant un parent jaloux

Qui voit les soins que j’ai pour vous

En juge mal et se mécompte.

Je sais qu’il n’en parle pas bien

Mais la médisance à ma honte

Est plus discrète et n’en dit rien.

Sonnet.

Cléon faux en tout ce qu’il fait,

Chez les buveurs à toute outrance

Fait le sobre et du peu qu’il sait

Fatigue toute l’assistance.

A table ailleurs quand on le met

Sur quelque haut point de science,

En homme prudent il se taît,

Et prend du vin en absence.

On juge à peine ce qu’il est,

Chaque jour selon qu’il lui plaît,

Il prend différente figure ;

Son faible ne m’est point caché,

Il est adroit dans l’imposture,

Mais ni savant, ni débauché.

Sonnet.

Tel que votre humeur le souhaite,

Un bon homme était votre amant,

Il vous servait fidèlement,

Sa flamme était pure et discrète.

Vous allez en être défaite,

Votre cruel éloignement

Va mettre dans le monument

Et son Amour et sa Lunette.

Amarante, ne tirez pas

Avantage de son trépas,

Peu de gloire vous en demeure.

Votre départ le fait périr

en le différent d’une heure,

De vieillesse il allait mourir.

Sonnet.

Iris a la taille mignonne.

L’air noble et le beau tour d’esprit.

L’on ne voit de mieux écrit

Que ce que sa plume nous donne.

Elle est généreuse, elle est bonne,

Modeste en tout ce qu’elle dit,

La vertu jamais ne se fit

Plus respecter qu’en sa personne.

Parmi tous ses talents si beaux

Elle se cherche des défauts,

Et souvent médit d’elle-même,

On n’y trouve rien à blâmer ;

Chacun l’admire, chacun l’aime,

Elle seule ne peut s’aimer.

Sonnet.

Clarinte à qui toute la cour

Rend un respectueux hommage,

Des plus illustres de notre âge

Reçoit des billets chaque jour.

Qu’il soient ou d’intrigue ou d’amour,

Jamais la Belle ne s’engage,

Et ne leur donne autre avantage

que de les lire tour à tour.

Quelquefois elle prend la plume,

On croirait selon la coutume

Qu’elle rend billet pou billet.

A toute autre chose elle pense,

Veut savoir ce qu’elle fait ?

Elle n’écrit que sa dépense.

Sonnet.

Iris ainsi que les novices

Croit tout avec simplicité,

Fuit les plaisirs comme des vices

Qui tentent la fragilité.

Jamais des amoureux caprices

Sont esprit ne fut agité,

Les soins, les respects, les services,

N’ébranlent point la fermeté.

Sa vertu par tout est connue,

Mais j’en doute après l’avoir vue

Pleurer aux pieds d’un confesseur.

De quoi se repent cette Belle ?

C’est assurément que son cœur

N’est pas bien d’accord avec elle.

Sonnet.

Abbé, vous avez la naissance,

La bonne mine et l’air des grands,

Ces avantages apparents

Cachent beaucoup d’insuffisance.

Mais la longue persévérance

A ne rien dire de bon sens,

Fait enfin découvrir les gens ;

Vous devez garder le silence.

Pour rendre parfait votre corps,

Nature fit tous ses efforts,

Et lui donna tant d’avantage,

Que celui qui forma l’esprit

En fut jaloux et de dépit

Refusa d’achever l’ouvrage.

Sonnet.

Tout le monde sait que je t’aime,

Je te l’ai dit ; si tu le crois,

La justice que tu me dois

T’engage à me traiter de même.

Mes soupirs, mon visage blême,

Les tristes accents de ma voix,

Ne te parlent tous à la fois

Que de ma passion extrême.

As-tu besoin d’autres témoins ?

Regarde mes respects, mes soins,

N’en est ce pas assez, Climène ?

Veux tu m’obliger à mourir ?

Ne va pas si vite, inhumaine,

Je ne suis pas las de souffrir.

Sonnet.

Caliste, vos rigueurs ont lassé ma constance,

J’ai peine à me connaître en l’état où je suis,

Sans beaucoup de chagrin je souffre votre absence,

Et loin de vous chercher, cruelle, je vous fuis.

Je ne regarde plus qu’avec indifférence

Ce qui fit autrefois ma joie et mes ennuis ;

Au repos de mon cœur incessamment je pense,

Et pour me l’assurer je fais ce que je puis.

Des folles passions mon esprit se dégage,

Les plaisirs que je prends ont rapport à mon âge,

Et les plus innocents sont pour moi les plus doux.

Je ne soupire plus, du moins pour une ingrate ;

Mais de quelque douceur dont on âme se flatte,

Je vivais plus heureux quand je vivais pour vous.

Sonnet.

Quand on dispute de l’âge

Des plus aimables du temps,

Pour Clarinte on se partage

Sitôt qu’elle est sur les rangs.

L’un dit qu’elle a les visage

D’une fille de quinze ans,

L’autre lui croit davantage

A lui voir tant de bon sens.

Sans décider la querelle,

Rendons justice à la Belle,

Traitons-la comme les Dieux.

On les sert, n les adore,

Et l’on ne sait pas encore

S’ils sont ou jeunes ou vieux.

Sonnet.

Aimer avec attachement,

Est toujours d’une âme petite,

La défiance du mérite

Fait la constance d’un amant.

L’amour craint tout engagement,

Il ne peut souffrir de limite,

Qui veut captiver l’irrite,

Il ne se plaît qu’au changement.

Ce tyran sans choix de personne,

Aspire à plus d’une couronne.

Et veut jouir du bien d’autrui.

Ce qu’il possède d’importune,

Il ne met sa bonne fortune

Qu’en tout ce qui n’est point à lui.

Sonnet.

Amants qui vous plaignez sans cesse

De trouver peu de sûreté

Dans les faveurs d’une maîtresse,

Qui de tout temps a coqueté ;

Sachez qu’un plus grand mal me presse ;

Je sers une injuste Beauté

De qui mes soins et ma tendresse

Jusqu’ici n’ont rien mérité.

Pour tous également cruelle,

Je ne puis rien espérer d’elle

Qui flatte un peu ma vanité.

Trop heureux si l’ayant servie,

Je pouvais en toute ma vie

L’accuser d’infidélité.

Sonnet.

Silvandre monté sur Parnasse

Avant que personne en sut rien,

Trouva Regnier avec Horace,

Et rechercher leur entretien.

Sans choix et de mauvaise grâce

Il pilla presque tout leur bien,

Il s’en servit avec audace

Et s’en para comme du sien.

Jaloux des plus fameux Poètes.

Dans ses Satires indiscrètes

Il choque leur gloire aujourd’hui.

En vérité je lui pardonne,

S’il n’eût mal parlé de personne

On n’eût jamais parlé de lui.

Sonnet.

D’une troupe de jeunes fous

Iris se trouvant accablée,

Pour guérir mon esprit jaloux

Chez elle aux champs s’en est allée.

Ce départ qui les surprit tous,

Rassura mon âme troublée ;

Mais absent d’un objet si doux,

Je sens ma peine redoublée.

Seul coupable de tous mes maux,

En me vengeant de mes rivaux,

Je me suis vengé sur moi-même.

Mes plus doux plaisirs sont perdus,

Elle fait bien voir qu’elle m’aime ;

Mais hélas ! je ne la vois plus.

Sonnet.

Je sers une ingrate maîtresse,

Qui tous les jours change d’humeur,

Elle m’avait promis son cœur,

Et n’a pas tenu sa promesse.

Pour mon rival elle s’empresse,

Partout elle s’en fait honneur,

Elle m’écoute avec froideur,

Et répond mal à ma tendresse.

Ce procédé capricieux

Me fait enfin ouvrir les yeux,

Je vois qu’elle m’est infidèle.

Les mêmes yeux sans me guérir,

Me disent aussi qu’elle est belle,

Et c’est qui me fait mourir.

Sonnet.

Iris, qu’autrefois à vous voir

Je passais de douces journées !

Que dans les heures fortunées

Vos beaux yeux flattaient mon espoir !

Malheureux, pouvais-je prévoir

Que mes cruelles destinées

De tant d’espérances données,

Quelque jour me feraient déchoir ?

Où sont les serments, les promesses,

Qui m’assuraient de vos tendresses ?

Hélas ! que sont-ils devenus ?

Cependant, aimable infidèle,

Vous êtes la moins criminelle,

Je vis et vous ne m’aimez plus.


cf. Recueil des Plus Belles Pièces des Poètes Français, Tant Anciens que Modernes, Avec l'Histoire de Leur Vie. Tome IV, Amsterdam 1692 pp. 328 - 348.

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