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Hyacinthe

Les Amours
De
Hyacinthe et de Chrysolithe

Hyacinthe enamouré des yeux de Chrysolithe,

Entre cent damoiseaux de beauté plus eslite,

Espionçonné des traits et de la vive ardeur

De ce Dieu qui sans yeux frappe si droit au cœur,

Dissimulant, navré, une playe en ses veines,

Alloit tiré, craintif, de ses poulmons enflez

L’air chaud entrecoupé de souspirs redoublez :

« Chrysolithe. Mon cœur, mon desir, ma sucree,

ma grâce, mon souhait, ma Cyprine doree,

Chrysolithe m’amour, si jamais la pitié

Logea dedans tes yeux, ou si quelque amitié,

Ou quelque doux accueil a pris place en ton ame.

Appaise, Cheysolithe, ceste flame

Qui dévore, gourmande, et ma chair et mes os.

Seule me peux garder et me perdre, cruelle,

Seule retiens chez toy, comme hostesse fidele,

Et ma mort et ma vie : advise donc, mon cœur,

Lequel te plaist des deux, et fais que ta rigueur

Ou me plonge au cercueil, ou ta benigne grace

Me redonne la vie et bienheureux me fasse.

Je sçaiy que justement je ne puis excuser

L’offense que j’ay faite, et ne puis accuser

Autres que mon malheur, ou tes beautez extresmes,

Qui me font oublier mon devoir et moymesmes,

Indigne des faveurs d’un regard adouci

De ton oeil rigoureux : mais, si ton ame aussi

Juge sans passion l’offense que j’ay faite,

Pour n’avoir accompli l’entreprise secrete

Entre nous deux jurée, elle n’est pas, mon cœur,

Si lourde, si fascheuse et si pleine d’erreur,

Qu’ell’ merite bien, à pardonner facile,

Quelque douce faveur de ta grâce gentille :

Excusable vrayment, et digne de pardon

Si l’aveugle tyran du ciel avoit de ce don,

Comme il n’a pas, cruel, de supporter les fautes

Des amoureux, pipez de ses ruses trop cautes.

« Il faut gouster le bien avant que s’en gorger,

Il faut rougir le fer avant que le forger,

Quelquefois l’on espargne à fin de mieux despendre,

On se fait serviteur pour plus libre se rendre,

On s’altere aux chaleurs pour la soif estancher,

On refuse l’honneur que plus on veut chercher.

Le marinier se pend aux vagues de Neptune

Pour bastir su la terre, et dorer la fortune :

De la terre poudreuse on engerme le sein

Pour en tirer l’usure et redoubler le grain :

Pour se mettre en repos souvent on se trouvaille,

Pour gaigner le rempart on vient à la muraille.

« Moy, soldat de l’Amour, pour assaillir ton cœur

L’ay fait brèche en tes yeux, dont je reste vainqueur,

De vainqueur prisonnier, et de ceste victoire,

Seule, sans coup frapper tu remportes la gloire.

J’en appelle à tesmoin mes souspirs et mes vœux,

Qui pendent pour trophee à tes crespes cheveux,

J’en appelle à tesmoin mon ame prosionniere

Dedans tes yeux, maistresse, et ta grace meurdriere

De mon cœur languissant sous ta fiere rigueur,

Qui dédaigne mes pas, et rit de mon malheur.

« avant que m’embarquer à vous aimer, cruelle,

Je devois espier de quel temps ma nacelle,

De quel vent, de quel flot, sans trop l’aventurer,

Devait estre poussee avant que démarrer :

Le devois remarquer la mer & les estoiles

Propres à voyager, et mettre au vent les voiles.

Mais las ! sans le cognoistre, ignorant que je suis,

Malgré l’onde et le ciel la voile au vent j’ay mis :

Qui fait que maintenant sur les sentiers humides,

Entre les flancs aigus des rochers homicides,

Ma nef est emportee et sans voile et sans mas,

Voguant à la merci d’un orageux amas,

N’ayant à son secours, dessous les eaux plongee,

Qu’un image de mort, qui la tient assiegee

Et en pouppe et en proue : ainsi loin de support

Perit veusue d’ancrer jamais au port.

« ne me dédaigne pas, je te supply, maistresse :

Le Dieu qui terrassa en sa blonde jeunesse

De ses traits empennez l’effroyable serpent,

Dont le ventre empesté couvroit plus d’un arpent,

Le Dieu eu crin doré, qui des nerfs de sa lyre

Anime les fureurs de celuy qu’il inspire,

Me caresse, me suit, et ne dédaigne pas

Pour seulement me voir, de perdre mille pas :

Zephyre aux doux souspirs. Pour plus humble se rendre

Au service amoureux de ma jeunesse tendre,

D’ailerons bigarrez vole de toutes parts

Pour m’honorer, craintif, de ses baisers mignards :

Je cours, je vais, je viens, et mes peine perdues

Par le vague de l’air se fondent dans les nues. »

A tant met fin Hyacinthe à ses aigres douleurs,

Baignant ses yeux enflez de gros bouillons de pleurs.

Pres de luy verdissoyent les jeunes revenues

De lauriers sursemez de perlettes menues,

Et les pins chevelus bras à bras accolez

Espanchoyent à l’enuy leurs ombrages mollets :

Là les souspirs coulez des bouches Zephyrines

Esbranloyent suspendus les nouvelles crespines

Et les tendres jettons des arbres verdoyans,

Sur les plis argentez des ruisseaux ondoyans :

Là la terre de fleurs et de couleurs paree

Au soleil éventoit sa robe bigarree.

Entre ces rangs fueillus s’esgayoit argentin

Un ruisseau trepillant d’un repli serpentin.

Qui d’un murmure doux dans les eaux gazoullantes

Apprenoit le jargon aux pierrettes roulantes.

Lieu digne de l’Amour, m’en soit tesmoin l’oiseau

Fidele avant-courant du beau printemps nouveau,

M’en soit tesmoin celuy qui sur les aubepines

Fredonne, babillard, ses notes argentines,

Hoste de la saison, qui gaye de sa vois,

Remets en allegresse et les mots et les bois.

Là le Dieu Delien, le Prince de la lyre,

Le Dieu qui souverain tient le celeste empire

Sur les chantres sacrez, fit mourir de sa main

Hyacinthe, dont le sang empourpra le buea sein

Des œillets blanchissans, sang qui rougit encore

Dessus le front poli des pierres qu’il colore,

Sang qui rougit encor sur les tapis herbus

Le reproche eternel des amours de Phebus.

Car quand le renouveau en s’eschauffant repousse

Les glaces de l’hyver de son haleine douce,

Et le Belier succede aux Poissons froidureux,

Hyacinthe, on te reclame, et fleuris odoreux

Dessus le verd gazon de la terre animee

D’un gracieux parfum qui la rend embasmee.

Ainsi donc d’an en an, quelque part que tu sois,

Tu revis bienheureux au plus beau de nos mois,

Et devaois luire au ciel quelque flamme agencee,

N’eust esté du Destin la contrainte forcee,

Qui choisit pour meurdrier (hà, cruauté des cieux !)

Le Dieu qui plus t’aimoit mille fois que ses yeux,

Qui pour toy fait esclave attise dans ses veines

Un desir importun, compagnon de ses peines,

Qui va bruslant son ame, ainsi que peu à peu

La neige sur les monts, ou le suif pres du feu.

Il le hante, il le suit pas à pas, le talonne,

Point ne le perd de l’œil, jamais ne l’abandonne :

Hyacinthe est son souhait, Hyacinthe est son souci,

Il le vante le soir et le matin aussi,

Et dormant et veillant, lors que la nuit muette

Couvre cet univers sous son aile brunette.

Les replis embrouillez des oracles douteux

Luy viennent à dédain et luy sont odieux,

Laisse moisir au croc les cordes de sa lyre,

De Delphe et de Patare, amoureux, se retire :

Plus il n’aime, chasseur, que l’ombre des forests,

Au lieu de trousse et d’arc il porte un pan de rets,

A fin d’accompagner Hyacinthe, que la chasse

Esachauffe apres un cerf qu’il poursuit à la trace,

Tant la force d’Amour esperdument le point.

Mais quoy ? n’est-ce un malheur que la douleur cruelle

Est tousjours de l’Amour la compagne fidele ?

Car voulant s’exercer à tirer le balllon

Pour se donner plaisir, le premier Apollon

Le guinde haut en l’air, et se courbant le pousse,

Mais en tombant (ô Dieux !) d’une roide secousse

Il rencontre le chef du jeune damoiseau,

Luy écrase le test, luy froisse le cerveau,

Qui flotte sur ses yeux, et n’y a medecine,

Charme, drogue ny jusm ny basme, ny racine,

Qui le puisse estancher: ses beaux yeux en mourant

Entrevirent que Zephyre au branle de ses ailes,

Jalousement espris de passions cruelles,

Destournant le ballon auteur de ce mechef,

Pour se venger d’Amour luy brandit sur le chef.

Comme les lis froissez de la pince cruelle

De l’ongle ou de la main, ou battus de la gresle,

Fletrissent aussi tost, et blesmes vont baissant

Leur beau chef argenté, qui penche languissant

En œilladant la terre, et fanissant ne peuvent,

Aggravez, se dresser, tant foibles ils se treuvent :

Ainsi du damoiseau s’estrange la couleur,

Se dérobe le pouls, la force et la chaleur,

Ainsi le corps navré de ce jeune Amyclide

S’affoiblit chancelant : mais le sang qui reside

Dans les vaisseaux rameux en ondoyant repeint

Les pierres et les fleurs, marques de son beau teint,

Et ne peut-on juger à leur face blesmie

Si le mort ou le vif a plus ou moins de vie.

On conte qu’Apollon croupit sept mois entiers

Loin du ciel escarté sous les flancs des rochers,

Souspirant son malheur :les tronches orillees

Des vieux chesnes branchus, les monts et les vallees,

Larmoyerent transis dessous le contre-son,

Et sous l’air mesuré de sa triste chanson,

Accoisant et flattant les colores felonnes

Des tigres affamez et des fieres lionnes.

Comme le rossignol de lamentable vois

Fait gemir de douleur et les monts et les bois,

Ne trouvant plus au nid sa petite nichee

Qui beante l’attend pour prendre la bechee,

Que le berger a prise, ayant d’yeux trop subtils

Remarqué le buisson, la mere et les petits :

Ainsi le Delien ayant l’ame esploree,

Et d’extresme regret esperdument outree,

Triste le lamentoit et pleuroit son malheur :

L’air comblé de son dueil rechante sa douleur ;

Et les Nymphes des bois et des ondes parlantes

Reçoivent dans leur sein ses laremes ondoyantes.

Le vray teint du Hyacinthe est le rouge vermeil,

L’autre est rouge blafard, en couleur tout pareil

Au grain d’une grenade, et rougissant et palle.

Le meilleur est celuy que l’Inde Orientale,

Mere de ces threfors, titre de son beau sein

Pour embellir des Rois et le front et la main.

Estant rouge sanguin, n’ayant la face triste,

De couleur violette ainsi que l’Armethyste,

Sans paille, sans ordure, en pareille grandeur

Qu’un grain d’une lentille, et d’esxtresme froideur.

L’autre et le plus commun est celuy qui se treuve

Au fable Egyptien, que ce grand fleuve abreuve,

Ce grand fleuve aux sept huis, qui trouble et poissonneux

Engraisse le gueret de son trac limoneux.

Porté contre la chair, il rend l’homme agreable,

Modeste, gracieux, riche courtois, affable,

Cheri de sa maistresse : il se rend asseuré

Des esclats foudroyans du tonnerre ensoufré :

Il garde son porteur de l#ardeur immodeste

De l’enfant de Cypris, de venin et de peste,

Chassant l’air corrompu qui de grossiers amas

Prend et caille le sang, et nous mene au trepas :

Ennemi des frayeurs qui de melancolies

Troublent l’air plus serein de nostre fantaisie,

Ennemi des Demons et de l’estonnement,

Dont les songes menteurs nous trompent en dormant :

Retenant sous le mort de ceste pierre dure

Quelque douceur encor de sa gente nature,

Qui vivant ne peut onc au torrent de ses pleurs

De sa fiere maistresse adoucir les rigueurs.

Sur ce nouveau trepas Chrysolithe la belle,

Humble, se souvenant de la façon cruelle

Dont elle avoit traité ce jeune damoiseau,

Plus douce apres sa mort, et dedans le tombeau,

Que vivante cent fois, pour la demeure sienne,

Amoureuse, choisit la poudre Egyptienne,

A fin d’accompagner Hyacinthe, que le sort

Ne permit d’estre aimé sinon apres la mort.

Hà, ruse d’Apollon ! qui poingt la jalousie,

Poingt d’extresme fureur et folle frenaisie

Pour mieux eterniser les larmes de son dueil

Cacha ces deux amans en un mesme cercueil :

Hyacinthe se trouvant dessous la mesme terre

Qui le cœur empierré de Chrysolithe enserre,

Morte ne retenant d’immortel souvenir

Que l’infame surnom d’ingrate l’advenir.

Doncques la Chrysolithe en couleur verdoyante

Tire sur le verd-gay de la mer ondoyante.

Ou au jus pressuré des fueilles d’un poreau :

L’autre a plus que l’or fin le visage et la peau

Plus jaune et plus doré, on l’appelle Topasse

Qui de son lustre d’or l’or mesme efface,

Tant il est jaunissant, semblable hors le surnom

A celle qui de l’or emprunte son beau nom.

Car l’une et l’autre en fin n’est qu’une mesme pierre

Qui molle s’endurcit sous les flancs de la terre,

Da nature semblable et de mesme vertu.

Il rend l’homme vaillant et d’honneur revestu :

Plongé dessous la langue, il destrempe et modere

Du fiéureux languissant la chaleur qui l’altere :

Mis sur le costé gauche, il repousse la peur,

Mesme aux Demons nuiteux il apporte frayeur :

Il arreste le flux d’une playe courante,

Il appaise de l’eau sur la flamme brillante

Le bouillon sautelant dans les creux de l’airain :

D’une puissance occulte il dompte et met au frein

Des songes imposteurs les ruses tremperesses,

Qui vont charmant noy yeux d’amorces piperesses,

Voilà de deux amans et le sang et les pleurs,

Eschangez pour memoire en pierres et en fleurs :

Fleurettes, du printemps seures avant-courriereres,

Pierrettes, de l’Amour fideles messageres.

cf. Rémy Belleau, Œuvres Complètes dans : Aristide Gouverneur (edt.), Rémy Belleau Œuvres Complètes, Nouvelle Edition publiée d’après les Textes Primitifs avec variantes et Notes, Tome III, Paris 1897 , pp 64 - 72.

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