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Autoportrait en vers

Denis Sanguin de Saint-Pavin :
Portrait de Monsieur de Saint Pavin


Mon cher Tircis que t’ai-je fait,
Pour me demander mon portrait ?
Veux-tu qu’à mon désavantage,
Ma main travaille à cet ouvrage ?
Et qu’avec si peu d’agréments,
On me montre chez les Flamands ?
Soit à ma honte ou pour ma gloire,
J’ai peine à faire mon histoire.
Je vais pourtant sans me flatter,
Me peindre pour te contenter.
Ma mine est fort peu cavalière,
Mon visage est fait de manière,
Qu’il tient moins du beau que du laid,
Sans être choquant tout à fait ;
Dans mes yeux deux noires prunelles,
Brillent de maintes étincelles,
J’ai le nez pointu, je l’ai long,
Je l’ai mal fait, mais je l’ai bon.
Et je sens venir toutes choses,
De plus loin qu’on ne sent les roses ;
Enfin, je puis dire en un mot
Que je n’ai pas le nez d’un sot.
Malgré les ans et la fortune,
Ma chevelure est encore brune ;
Soit par hasard, ou par dépit,
La nature injuste me fit
Court, entassé, la panse grosse ;
Au milieu de mon dos se hausse
Certain amas d’Os et de chair,
Fait en pointe comme un clocher.
Mes bras d’une longueur extrême,
Et mes jambes presque de même,
Me font prendre le plus souvent,
Pour un petit moulin à vent.
Je suis composé de matière,
Fort combustible et eu grossière ;
Je hais toutes fortes d’affaires.
Je ne me fais point de chimères,
Je ne suis point homme borné,
Mon esprit n’est pas mal tourné.
Je l’ai vif dans les reparties,
Et, plus piquant que les orties,
Je ne laisse pas en effet,
D’être complaisant et coquet,
Mais ce n’est pas pour la Coquette,
D’elle fort peu je m’inquiète.
Et, je croirais passer pour fat,
Si je n’était plus délicat.
Je suis tantôt gueux, tantôt riche,
Je ne suis ni libéral, ni chiche,
Je ne suis ni fâcheux, ni doux,
Sage, ni du nombre des fous,
Et je suis tout cela ensemble,
Sans que personne me ressemble.
Et sans faire ni bien ni mal,
Je mène un train de vie égal.
La coutume à qui l’on défère,
Comme l’enfant fait à sa mère,
Ne peut, toute forte qu’elle est,
M’entraîner qu’à ce qui me plaît ;
L’ambitieuse frénésie,
La vengeance, la jalousie,
Grands troubles fêtes de l’esprit,
Ont sur le mien peu de crédit.
J’aime à railler, mais sans médire,
A réjouir, sans faire rire,
Parler, sans me faire écouter,
Et plaire, sans pourtant flatter.
Je ne suis pas l’homme du monde
Le plus ennemi de la fronde.
Aussi, je ne suis pas de ceux
Qui partout d’un esprit hargneux,
Cherchent sans cesse sur qui mordre,
Et, ne prêchant que le désordre.
Le repos et la liberté,
Est le seul bien que j’ai goûté.
Et, n’ai l’esprit embarrassé,
De l’avenir, ni du passé ;
Ce qu’on dit de moi, peu me choque,
De force choses je me moque,
Et sans contraindre mes désirs,
Je me donne entier aux plaisirs ;
Le jeu, l’amour, la bonne chère,
On pour moi certain caractère
Par qui tous mes sens sont charmés,
Et, je les ai toujours aimés ;
Toutefois, ce n’est qu’à ma mode,
Dans un air de vivre commode ;
C’est rarement qu’un vieux garçon
En use d’une autre façon :
Pour me divertir je compose,
Tantôt en vers, tantôt en prose.
Et, quelquefois assez heureux,
Je réussis en tout les deux.
Mon humeur est assez facile,
J’aime les champs, je hais la ville.
Et, je pense moins à la cour
Que je ne fais à ton retour :
Voilà ma peinture parfaite,
Et je suis quitte de la dette,
A quoi je m’était engagé ;
Regarde si je suis changé
D’humeur, d’esprit, ou de visage,
Depuis le temps de mon jeune âge.
De quelque façon que je sois,
Aime-moi, Tircis, tu les dois.

cf. Recueil des Plus Belles Pièces des Poètes Français, Tant Anciens que Modernes, Avec l'Histoire de Leur Vie. Tome IV, Amsterdam 1692 pp. 321- 325.

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